Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main-d’œuvre à meilleur marché, a construit des usines jusque dans la Drôme, le Gard, la Haute-Loire, le Puy-de-Dôme et Vaucluse. Comment l’industrie de la soie pourrait-elle se défendre autrement quand elle se heurte, sur tous les marchés étrangers, à des industries locales favorisées par des droits protecteurs énormes, par des salaires inférieurs, par la franchise de matières premières imposées en France ?

Ce qui se produit à Lyon, à Saint-Étienne, à Saint-Chamond est également vrai pour les industries de Paris, de Roubaix, de Calais, de Nîmes, qui emploient la soie. La petite colonie de passementiers lyonnais et stéphanois établie à Paris, sur les hauteurs de Ménilmontant, n’a pas un sort moins difficile, malgré sa situation dans la capitale, au centre même de la mode et sous la main des commissionnaires exportateurs. A Nîmes, les industries de la bonneterie, des tapis, affirment qu’un droit sur la soie leur porterait un préjudice considérable. Quant à la fabrique de soie à coudre, elle est à moitié anéantie par la concurrence de l’article coton glacé, venant d’Angleterre ou d’Allemagne, et se déclare hors d’état de supporter la moindre taxe nouvelle. En ce qui concerne l’importante fabrication de Saint-Pierre-lès-Calais, dont la production est de plus de 80 millions de francs, M. Ribot exposait, en 1888, qu’elle luttait avec la plus grande difficulté contre les fabriques anglaises de Nottingham et que, le prix de la matière première étant de 50 pour 100 dans le prix de revient de ses tulles de soie, le moindre écart dans le prix de la matière première avait son contre-coup sur la vente.

Il résulte, en somme, de tous les faits et de tous les chiffres que nous venons d’examiner, que notre grande industrie des tissages de soie maintient sa production, mais sans la développer et au prix de constans sacrifices. Si la mode revenait aux belles étoffes, elle prendrait certainement un essor nouveau, parce qu’elle est mieux outillée que ses concurrentes pour cette fabrication spéciale ; mais ce retour de la mode, s’il semble se dessiner, est encore très faible, et pendant longtemps encore les articles communs l’emporteront. Or, pour ces articles, les fabriques allemandes, suisses et américaines sont placées dans des conditions supérieures aux nôtres et, symptôme inquiétant, leur production croît rapidement, pendant que la nôtre reste stationnaire.

C’est ainsi que, de 25,000 métiers en 1844, les fabriques rhénanes d’Elberfeld, Crefeld, Barmen et Ronsdorf se sont élevées à 42,000 métiers en 1855, 58,000 en 1873 et 87,000 en 1883, que leur production a passé de 90 millions de francs en 1844 à 225 millions de francs en 1883. Leurs spécialités sont le velours coton, les