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plutôt que s’imposer, et se tourne en amabilité, amitié discrète, sans trop d’intimité, qui fait ouvrir le salon, non la maison, car une amitié exclusive nuirait à la sociabilité ; bref, une facilité de relations également éloignée de la raideur britannique, de la morgue allemande, de l’obséquiosité italienne, de la rudesse américaine. L’Allemand, tel que le peint M. Hillebrand, est grossier, susceptible, d’un abord peu agréable, parfois même intraitable en sa pédanterie lourde, ou bien d’une familiarité indiscrète, d’une franchise qui, sous prétexte de sincérité, consiste à dire des choses désagréables. Non-seulement le Français se garde de blesser son prochain, mais il ne peut s’empêcher de le caresser, même aux dépens de la vérité. La parfaite sincérité et le désir de plaire sont inconciliables. Les Anglais, d’après M. Hamerton, se montrent peut-être plus sincères ; leur hypocrisie s’exerce surtout en matière religieuse. En France, la société doit au léger mensonge beaucoup de sa douceur.

Les femmes françaises font le charme de la vie sociale. M. Hillebrand refuse aux Allemandes la grâce, la dignité ; elles lui paraissent à la fois gauches et sentimentales. M. Hamerton reproche aux Anglaises leur puritanisme anguleux. Les Américaines, d’après M. Brownell, se conduisent presque en rivales de l’homme, dans la lutte pour la vie ; elles regrettent leur infériorité, aspirent aux vertus masculines, dominent leurs émotions et leurs sentimens. Les Parisiennes au contraire, telles que les jugent nos trois auteurs, restent femmes et n’ont rien perdu de leur influence. Elles savent régner dans un salon, se procurer des relations flatteuses et utiles, éveiller perpétuellement l’intérêt. Un peu frivoles peut-être, s’il s’agit de religion, de morale, de constance ou de sensibilité, — elles apportent à la coquetterie, à la toilette, le plus grand sérieux. Elles s’entendent à faire valoir leurs avantages, un joli pied, une voix agréable. Mais leur coquetterie est plus innocente qu’on ne le suppose ; en tout cas, le désir d’être préférée semble plus naturel que le contraire. Jamais elles ne se résignent à vieillir.

M. Brownell ne peut assez admirer la conversation, la gaîté, la malice raffinée d’un salon parisien. La France, où s’est fondé l’ordre des silencieux trappistes, représente aux étrangers la nation jaseuse par excellence. Cette conversation parisienne les étonne comme quelque chose d’unique. Glisser légèrement sans appuyer, s’arrêter sur la pente d’un développement qui exigerait trop d’attention, tournerait au monologue et finirait par ennuyer, passer des idées les plus générales aux plus gracieuses médisances, railler et complimenter, élever des idoles pour les cribler de traits moqueurs, voilà qui est parisien. Quelle dépense, dans nos salons, d’esprit délicat, sans autre avantage que l’amusement de l’heure présente !