Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

province, ses académies, ses jockey-clubs, ses filles entretenues, son journalisme, si l’on veut se rendre compte que les Français sont pourtant susceptibles d’une certaine lourdeur. »

M. Hamerton a su esquisser avec l’humour d’un peintre de genre la vie d’une petite ville de province aisée, avec son tribunal, sa sous-préfecture, le vrai cadre d’une vie de philosophe par la simplicité des habitudes, la modération des désirs. Mais cette vie se résume ainsi : bonne chère et commérages, curiosité microscopique, grande paresse intellectuelle, perte de temps effroyable en flâneries, ignorance extrême des autres pays, des langues, des voyages, de tout ce qui dépasse l’horizon borné, et, aux yeux d’un moraliste sévère, absence complète de tout noble effort.

Ce qu’il y a surtout de notable dans la vie de province, c’est l’économie. On songe aux enfans, à la dot des filles. Il est rare qu’on dépense son revenu. La fortune financière de la France repose sur l’épargne, comme celle de l’Angleterre et de l’Amérique sur l’extension des besoins, qui exige un double travail et une double production. Les Anglais et les Américains ne sont pas aussi prudens que les Français, pas aussi capables de limiter leurs désirs, d’accepter de modestes positions avec contentement. Gagner énormément d’argent, pour le dépenser souvent d’une façon extravagante, c’est là où tendent toutes les pensées, toutes les actions. Le bien-être que les Français cherchent à s’assurer par l’exercice continu de l’épargne, les Anglais, les Américains se le procurent par l’esprit d’entreprise, puissant stimulant à l’initiative de l’individu, à l’expansion coloniale.

Il n’y a qu’un far-west où les Français aient le goût d’émigrer, où tous ceux qui ont courage, énergie, talent, viennent chercher fortune, mais où l’on ne trouve ni terrains à distribuer, ni vastes territoires libres ; ce far-west, c’est Paris. Là, dans la concurrence acharnée, dans la poussée effroyable, il faut se faire sa place au soleil, conquérir la notoriété, la richesse et la mode. Là que d’illusions déçues, de rêves envolés ! que d’amertumes, que de désespoirs, que de soifs de vengeance dans l’énorme ville, gloire du pays qu’elle a parfois menacé de ruine !

Si vous ne regardez que les sommets de la société, l’instinct social, dont parle sans cesse M. Brownell, s’y épanouit dans toute sa fleur, a Nature et culture, dit de même M. Hillebrand, ont fait du Français l’être le plus achevé que l’humanité connaisse. » II possède toutes les qualités qui rendent la vie élégante et facile : gaîté d’esprit, philosophie enjouée, contraire à la morosité habituelle des Septentrionaux, besoin d’une perpétuelle excitation du dehors, large tolérance pour les idées et pour les personnes, relations aisées, égoïsme tempéré, amour-propre qui veut plaire