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bon ton, à la décence et à la pompe que l’Église prête seule aux circonstances solennelles de la vie : naissance, mariage et mort, dans une société civile misérablement dépourvue d’éclat. Chez ceux mêmes dont la pratique est plus assidue, elle se concilie avec une sorte d’épicurisme doux et tempéré. L’ascétisme qu’elle a organisé dans son sein, l’Église n’a jamais pu l’imposer à la société. En France, comme en Angleterre, les hautes classes, qui vivent dans le confort et dans le luxe, sont celles qui se piquent le plus de suivre la doctrine de Jésus, toute de renoncement et de simplicité de vin. Les femmes surtout sont attachées à l’Église, qui leur prodigue ses consolations, ses trésors d’indulgence. Elles voient le monde à travers ses vitraux colorés. M. Hamerton est étonné de l’importance d’un évêque dans son diocèse, des titres de prince du sang, monseigneur, Votre Grandeur, qu’on lui donne, des honneurs qu’on lui prodigue ; c’est la seule autorité morale encore debout, le seul représentant d’une institution auguste et d’une tradition sacrée.

L’éducation, non moins que la religion, présente en France des caractères très tranchés, lorsqu’on la compare aux habitudes anglaises et germaniques. Les jeunes gens de la classe moyenne sont élevés dans les lycées, ces tristes geôles de la jeunesse captive. La direction morale y est à peu près nulle. « Elle se borne, en réalité, écrit M. Hillebrand, à soumettre tous les élèves à une égale discipline, à demi militaire, à demi claustrale. Il n’est pas jusqu’à l’uniforme du collège qui n’indique que le soin de l’individualité vivante est le moindre souci des éducateurs. » La seule éducation réelle, c’est celle que les jeunes gens se donnent les uns aux autres. Ils se forment entre eux le caractère ou le dépravent. Joignez à cela les conditions défavorables qui résultent du séjour des grandes villes. « Déjà, dit M. Hamerton, les médecins distinguent (chez les jeunes gens) un type à l’esprit aiguisé et sarcastique, d’une infériorité physique visible, » pur produit de l’éducation parisienne. Après avoir passé nombre d’examens, fait choix d’une carrière, le jeune homme, vers trente ans, songe à fonder une famille, à se mettre à la recherche d’une union convenable. Mais il importe, au préalable, qu’il connaisse la vie, qu’il ait fait les expériences dangereuses et comme épuisé sa curiosité : la maxime Il faut que jeunesse se passe a été élevée en France, d’après M. Hillebrand, à la hauteur d’un principe moral.

M. Hamerton a observé avec étonnement l’éducation provinciale de la jeune fille de bonne famille, fort différente de celle des jeunes filles déjà mondaines que l’on rencontre à Paris. Le principe dominant, c’est que l’atmosphère morale de cette éducation ne saurait être trop innocente, trop vertueuse, trop religieuse. Pas un