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une telle démarche pour un acte de bravade ou de gloriole, il n’hésiterait pas avenir hardiment à Paris ; il a, de plus, ajouté naturellement que l’empereur, en multipliant ses rapports, en se montrant partout, n’avait d’autre objet que la paix, qu’il était le plus pacifique des souverains, que, s’il augmentait sans cesse ses armées, c’était pour mieux jouer son rôle d’arbitre et de pacificateur. Soit, c’est une belle ambition, qui, à la vérité, se confond avec la préoccupation d’assurer la prépondérance allemande par l’alliance des grands États et par la subordination des petits. En d’autres termes, c’est toujours de la prépondérance allemande qu’il s’agit avec ce prince qui court le monde, qui augmente ses armemens pour mieux prouver qu’il ne veut que la paix, qui porte une main impatiente sur les affaires de son empire et a pris si lestement la résolution d’être son propre chancelier ; c’est précisément ce mélange d’humeur inquiète et de calcul, d’idées pacifiques et d’ardeurs guerrières mal contenues, de diplomatie et d’instincts impérieux, qui peut préparer à l’Europe d’étranges nouveautés, qui fait, dans tous les cas, de ses courses à travers le monde, une perpétuelle énigme. Il se pourrait seulement que, tout compte fait, il n’en fût rien de plus, que l’héritier de Guillaume Ier ne réussît pas auprès de tous ceux qu’il voudrait séduire et qu’il ne recueillît de ses voyages que le plaisir de voyager.

De ces récentes excursions dirigées un peu sur tous les rivages, la plus curieuse, la plus délicate aussi peut-être, est celle qui a conduit l’empereur allemand sur le territoire belge. Quand Guillaume II va en Angleterre ou en Russie, il trouve devant lui de puissantes nations, de grands gouvernemens, qui, en lui ménageant les réceptions dues à sa jeune majesté, ne font que ce qu’ils veulent, et sont en mesure de garder la liberté de leur politique. Son apparition dans la petite Belgique, ne fût-ce qu’à Ostende, pouvait avoir un autre caractère et être autrement interprétée ; elle pouvait provoquer des défiances, réveiller le soupçon d’une alliance ou, pour appeler les choses par leur nom, de la prépotence allemande. C’était là le point délicat. On ne s’y est pas mépris, et si la population, avec un peu de cette diplomatie de circonstance que les peuples savent avoir parfois, n’a vu qu’une politesse dans ce fait que le roi et les princes belges ont revêtu l’uniforme de leurs régimens allemands pour aller recevoir l’empereur, elle a témoigné, quant à elle, par sa réserve, qu’elle n’abdiquait pas devant l’étranger. L’empereur n’a pas dépassé Ostende, sans doute pour ne point éveiller des susceptibilités trop vives ; la population n’a pas dépassé la mesure d’une simple courtoisie : le point délicat est resté dans l’obscurité. Quelles que soient parfois les apparences en effet, il n’est point douteux que la nation belge, tout en restant courtoise, ne veut livrer ni son indépendance ni sa neutralité, ni les forteresses de la Meuse aux Allemands, et si le roi Léopold est encore populaire, c’est