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données à la question première de la paix, qui reste la grande affaire du temps, l’objet de tous les commentaires, de toutes les spéculations des observateurs de la marche des choses, et parfois aussi de toutes les inquiétudes.

C’est l’intérêt souverain, commun à tous les peuples, d’autant plus précieux qu’on le sent par instans plus menacé. Heureusement, si aujourd’hui la politique intérieure a son congé ou sa trêve dans presque tous les pays du vieux continent, la politique extérieure, elle aussi, semble prendre provisoirement ses vacances. Les grandes affaires ont tout l’air d’être ajournées. On s’attend un peu moins pour le moment aux incidens qui brouillent tout et à l’imprévu qui dérange tous les calculs. C’est à peine si depuis quelques jours on tourne un regard distrait vers les Balkans, si on s’occupe des pérégrinations du prince Ferdinand à la recherche d’une reconnaissance diplomatique qui ne vient pas, et quant aux affaires qui se traitent entre les cabinets, elles suivent leur cours sans bruit, sans complication visible. C’est l’apparence du moment. La politique extérieure, la politique générale a l’air d’être un peu au repos ou laisse paraître moins de tension ; elle n’est assurément pas pour cela endormie et inactive. Il est certain, au contraire, qu’à travers cette semi-obscurité et cette indécision qui règnent aujourd’hui, quelque chose de nouveau pourrait se préparer. Il y a dans le système européen des fissures, des anomalies qu’on s’efforce en vain de dissimuler. Il y a des rapports qui se déplacent ; il y a des alliances qu’on a beau s’étudier à rajuster et qui ne sont pas moins assez troublées, toujours menacées de dislocation. On aura certainement quelque peine à faire marcher ensemble l’Autriche mettant la rude main de sa police sur les propagandistes italiens de Trieste ou de Trente et les Italiens déçus dans leurs ambitions secrètes, blessés par une alliée, faisant par protestation à cette heure même d’un Triestin frappé par la police autrichienne un candidat à la députation à Rome. On ne conciliera pas facilement et pour longtemps, tous ces instincts, tous ces intérêts opposés, entre lesquels une habileté impérieuse a pu seule créer un instant un lien artificiel. On en dira ce qu’on voudra, l’œuvre pourra survivre en apparence, elle n’est pas moins atteinte. Les oracles moroses et désormais impuissans que s’amuse à rendre de temps à autre le solitaire de Friedrichsruhe comme pour rappeler à ses contemporains qu’il existe encore, ces oracles eux-mêmes sont la meilleure preuve que tout change, la politique comme les hommes, que les combinaisons de M. de Bismarck ne sont pas le dernier mot de la diplomatie, que la situation n’est plus déjà aujourd’hui ce qu’elle était il y a un an.

Que sortira-t-il de ce travail qui se manifeste sous plus d’une forme, par bien des signes ? On ne peut certes le dire ni le prévoir. Tout peut dépendre des circonstances, des accidens ou des évolutions toujours