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aujourd’hui un véritable danger public, dont nous verrons tout à l’heure l’imminence et la gravité. C’est, en fin de compte, la terre qui a fait les frais de cette brillante opération. Ce sont surtout les anciens états qui ont vu changer et empirer les conditions de la propriété foncière.

Dans ceux du Kansas, de Nébraska, du Wisconsin et du Michigan, on compte à cette heure les trois quarts des fermes hypothéquées. Dans le Texas, l’intérêt hypothécaire varie de 15 à 25 pour 100, pendant que le prix des marchandises, avancées contre récoltes par des traitans aux fermiers, s’est élevé de 25 à 50 pour 100, suivant le degré de confiance inspirée par l’acquéreur au vendeur. Dans le Kansas, nous révèle le dernier rapport de l’Association fermière, 18,000 fermes sont menacées d’éviction très prochaine, si on ne vient à leur prompt secours. Dans le plus riche comté du Michigan, les shérifs procèdent à une expropriation par jour.

Avant la guerre civile, presque tous les fermiers des États-Unis étaient les vrais propriétaires du sol qu’ils faisaient valoir. En 1889, plus d’un quart des fermes est loué, soit à moitié, soit à bail. Sur 4,008,907 domaines agricoles, le fermier, propriétaire du sol, en tient 74.5 pour 100, le fermier à bail 8 pour 100, et le fermier partageant les produits avec le propriétaire de la terre 17.5 pour 100. En Alabama, Géorgie, Delaware, Mississipi et dans la Caroline du Sud, le fermier propriétaire ne compte plus que pour 56 à 49 pour 100. Le sud est moins grevé, foncièrement, que le nord-ouest : mais le prix des denrées alimentaires a tellement renchéri, sous la pression usuraire des syndicats et des magasins de traitans, que le travail rural reste en perte et se voit forcé de demander crédit ; et à quelles conditions finales ? Ainsi en 1885, dans la Caroline du Sud, la récolte totale, qui devait se chiffrer par un produit net de 32,971,280 dollars, avant même le commencement de la campagne agricole, avait été aliénée par anticipation pour 8,500,000 dollars, soit un quart, contre avances de marchandises surfaites et souvent de qualité avariée.

Il est juste de dire que les impôts ont été abaissés depuis les victoires du nord sur les sudistes. En 1866, chaque individu payait une capitation moyenne de 50 dollars, qui depuis ont été réduits à 25. Mais, pour acquitter ces 25 dollars, le cultivateur doit produire aujourd’hui 300 livres de coton, ou 33 boisseaux de blé, ou 75 boisseaux de maïs, alors que jadis ces mêmes denrées suffisaient à payer, et au-delà, la capitation de 50 dollars.

La pléthore de production, les tarifs ultra-protectionnistes, l’intérêt usuraire, la cherté de la main-d’œuvre, la dépréciation de la