Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/905

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

silencieux, qui ne prenait la parole que lorsqu’il croyait avoir une pensée intéressante à « exprimer : on disait qu’avec lui les interlocuteurs avaient l’air de servir seulement de remplissage. Après le dîner, écrit Barthélémy, il se place auprès de la grand’maman, où il ferme îles yeux, la bouche, les oreilles, et reste impassible. Une autre fois l’abbé le définit plaisamment : une espèce d’aventurier qui va de pays en pays, débitant ses agrémens et son esprit, et quand il a gagné tous les cœurs dans une ville ou dans un château, il les laisse là et s’en va d’un autre côté. C’est le type de l’adorateur discret et dévoué. Les recherches hyperscientifiques, l’alchimie, le passionnaient : Saint-Germain, Cagliostro, Lavater, Saint-Martin, avec leurs systèmes et leurs incursions dans l’inconnu, exerçaient une vive attraction sur son intelligence. Assez mélancolique et, porté à la tristesse, il écrivait à la duchesse, à l’abbé, des lettres qui leur semblaient des chapitres détachés des lamentations de Jérémie, ne se sentait vraiment heureux qu’en France, et aurait volontiers répondu comme Caraccioli, nommé vice-roi de Sicile et félicité par le roi : « Ah ! sire, la plus belle place du monde sera toujours pour moi la place Vendôme. » L’ennui de Copenhague lui paraissait plus terrible encore que l’ennui espagnol ou l’ennui napolitain : « Il est aussi épais que l’eau qu’on y boit et l’air qu’on y respire. » Et vainement Mme de Choiseul lui indique-t-elle sa recette contre l’ennui, contre la tristesse : se les cacher à soi-même, vainement observe-t-elle qu’il n’appartient qu’à Hercule seul de vaincre la chimère, que le ciel nous a donné les passions comme les ressorts de notre âme et non comme ses tyrans ; Gleichen était persuadé, non guéri. C’est que la mélancolie, l’ennui, sont plus que des défauts, des maladies organiques du caractère qui attaquent la volonté et l’empêchent de réagir contre elles ; maladies qui admettent des tempéramens, des palliatifs, auxquelles les médecins de l’âme administrent bien rarement des remèdes efficaces. Conseiller à un homme mélancolique de se voiler à lui-même sa