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Genlis affirme qu’elle était du nombre de ces personnes qui causent tout bas, dont l’esprit reste enfoui dans le sanctuaire de l’amitié, demeurant pour les autres une tradition, presque une légende. Ainsi vont les choses : l’appareil photographique qui est au fond de nous ne rend pas le voisin tel qu’il est, mais tel que nous voulons le voir ; tantôt notre haine, tantôt notre affection ou notre indifférence grossissent ou diminuent à l’infini le personnage. Nous n’apercevons hors de nous que nous-même. Vous posez devant moi avec votre esprit, avec votre cœur, avec votre âme ; la société où je vous rencontre vous inspire diversement, je vous connais adolescent, homme fait, vieillard : autant de raisons nouvelles de vous comprendre autrement. Tel ce peintre de grand talent qui, pendant un hiver, avait peint sept portraits d’un petit modèle à la cervelle obtuse, tous ressemblans, tous d’expression variée ; le premier jour du printemps, un rayon de soleil entre dans l’atelier, se pose sur le modèle qu’il transfigure : le peintre voit une huitième femme et jette ses pinceaux, désespérant de jamais pouvoir rendre d’un seul coup la vérité.

Quant à de l’Isle, son appareil photographique et poétique fonctionne surtout en présence des femmes, inspiratrices ordinaires de sa muse, muse fermée sans doute aux grands horizons, nullement lyrique, peu sentimentale, éprise du joli et du spirituel, selon le goût du temps, mais naturelle, faite de grâce et d’aisance : « Mes enfans, disait Cavour à ses disciples, c’est en parlant aux femmes qu’on apprend à parler aux gouvernemens. » Apprendre la langue des gouvernemens, notre auteur n’y songe guère, mais parler aux femmes la langue du compliment, de la coquetterie, découvrir la route qui mène à leur bienveillance, le chemin de leur sourire, de leur patronage, voilà son véritable et premier souci. Aussi bien ses qualités et défauts poétiques apparaissent très clairement dans trois pièces qu’il composa pour Mme de Blot, la princesse de Beauvau, et pour un enfant de six ans, que Mme du Deffand, Voltaire, les châtelains et les hôtes de Chanteloup portèrent aux nues ; peut-être valent-elles mieux que l’oubli où elles sont tombées. Il me semble qu’elles vont de pair avec le Voyage du temps, la Chanson morale, les Trois Ages de la vie, et, étant donné le genre, j’en sais peu de plus agréables ; c’est proprement le triomphe du gracieux :


L’ORANGER.

Couplets à Mme la comtesse de Blot, en lui envoyant un oranger.

AIR du Vaudeville d’Épicure.

<poem> De l’aimable et savante Grèce, L’Évangile, encore admiré, Ordonna qu’à chaque déesse Un arbre serait consacré.