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L’assentiment du roi était assuré. Il semble que le nouveau ministre n’eut pas grand effort à faire pour apposer, quelques jours après son arrivée, sa signature sur l’ordonnance préparée sans lui.

Et cependant, ce n’est pas à tort, — on le reconnaît en analysant la situation du gouvernement au lendemain de Tilsit, telle que nous l’avons vue se préparer dans les pages qui précèdent, — ce n’est pas sans justice que l’on a attribué pour une si large part à Stein l’honneur de la réforme sociale.

Les modifications qu’il fit subir au projet d’édit n’étaient point sans importance. En l’étendant au territoire tout entier, il ne faisait qu’assurer l’exécution d’une intention manifestée par Frédéric-Guillaume III. En défendant dans une certaine mesure les tenures rurales, il témoignait, en face des prétentions de la noblesse, de plus de fermeté que n’en avaient montré ni ses prédécesseurs, ni le souverain lui-même.

Mais ce ne sont point là encore ses véritables titres. En réalité, ce qui faisait surtout défaut aux Allemands à cette époque et aux Prussiens eux-mêmes, ce n’était point la faculté de concevoir, de s’approprier, de discuter et d’approfondir les idées, même les idées de réformes politiques et sociales ; c’étaient les qualités de volonté et de caractère indispensables pour passer de l’idée au fait. Durant les dix premières années du règne de Frédéric-Guillaume III, les idées d’amélioration sociale, dont la réalisation en France avait suffi à bouleverser l’Europe, avaient été examinées, discutées sous toutes les formes, mûries avec l’assentiment certain du souverain, et, pour ainsi dire, sans résultat. La commission immédiate elle-même avait donné le même spectacle durant ces trois mois, où les projets avaient été remaniés sans cesse, sans que personne eût voulu ou su donner l’impulsion décisive.

Les qualités qui font l’homme d’action, rares en tout temps, particulièrement rares alors en Allemagne, Stein les possédait au plus haut degré. Il inspirait à tous ces théoriciens, à tous ces idéalistes qui raillèrent plus tard la faiblesse de ses connaissances philosophiques, de son jugement esthétique et littéraire, le respect que ne peuvent manquer d’éprouver pour une volonté forte ceux auxquels elle fait défaut.

Shön lui-même a défini très exactement la situation. « Ce que l’on demandait à Stein, dit-il, c’était une raison sociale. » Cette signature donnée, huit jours après son arrivée, à un projet préparé depuis des semaines, si elle ne lui laisse point le mérite de l’initiative, fait apparaître en traits d’autant plus saillans l’autorité dont il jouissait et la confiance qu’inspirait son caractère. Il n’est pas exagéré de dire que ce sont les contemporains eux-mêmes, tous ceux qui tendaient vers un état de choses nouveau, qui, par