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des propositions toutes semblables. Dans les rangs inférieurs de la hiérarchie administrative, Wilcken, Morgenbesser, les avaient prévenus. Shön, d’ailleurs, a reconnu lui-même dans ses mémoires à quel point les esprits, même avant la catastrophe de 1806, étaient préparés.

Il n’avait manqué, pour que la réforme fût réalisée plus tôt, que l’impulsion décisive. Les événemens, les désastres de 1806 suppléèrent, en la déterminant, aux lacunes la volonté royale. Peut-être aussi l’obstacle était-il venu du pressentiment vague, mais juste, de ce qui devait suivre. La suppression de la sujétion héréditaire ne pouvait être qu’un commencement, le commencement d’une transformation sociale dont personne ne mesurait exactement l’étendue, mais que la noblesse, encore toute-puissante dans l’État, redoutait singulièrement.

Le 23 août, le roi, dans un ordre de cabinet écrit de sa main, rappelait que l’abolition du servage était le but qu’il avait poursuivi depuis son avènement. Il donnait son assentiment aux propositions qui lui avaient été faites par Shön et par Schrötter, mais voulait que l’on étendit la mesure, projetée seulement pour la Prusse orientale et pour la Prusse occidentale, à l’ensemble du royaume.

Cependant la noblesse s’était émue des projets qui menaçaient de l’atteindre dans sa situation et dans ses intérêts. Le 29 août, un certain nombre de grands propriétaires nobles de la Prusse orientale remirent une adresse au roi. Ils consentaient à la suppression de la sujétion héréditaire, mais à une double condition. Ils voulaient que les enfans des tenanciers restassent assujettis à un service de cinq années dans la domesticité obligatoire. Ils voulaient surtout qu’on leur accordât le droit d’adjoindre à leur domaine propre les petites tenures rurales. La seule limitation que l’État eût apportée sous l’ancien régime aux droits du propriétaire noble, était l’interdiction de réduire le nombre des tenures rurales. Les ordonnances qui avaient renouvelé cette défense, si elles n’assuraient point le maintien individuel de chacun des tenanciers sur sa tenure, apportaient du moins à la population des petits cultivateurs dépendant des biens nobles une sorte de garantie collective en empêchant l’aristocratie foncière d’en diminuer le nombre. La noblesse invoquait très habilement à son profit les nouveaux principes de liberté commerciale et demandait qu’on ne lui interdît point d’étendre son domaine direct en acquérant les terres des paysans.

Si ses prétentions eussent été admises, elle n’eût presque rien perdu. La suppression du servage fût sans doute restée théorique. En tout cas, la domesticité obligatoire demeurait. Et, en dégageant