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ailleurs aux passions antifrançaises de Stein, en expliquant comment celui-ci en vint à préparer l’ordonnance municipale du 19 novembre 1808. « Il suffisait, dit-il, que les Français n’eussent point alors de municipalités indépendantes pour que Stein cherchât le contre-pied… Son esprit si vif et si pénétrant, ajoute-t-il dans un passage presque intraduisible, lui permettait de saisir facilement les idées, mais la préparation de l’homme d’État lui faisait défaut. Toute son éducation classique avait été superficielle, ses études ne lui avaient pas donné le sens de l’histoire. Il cherchait bien à assurer à ses idées une base historique ; mais en l’absence de toute culture philosophique et poétique, il traitait l’histoire comme une chronique. Il avait contre la philosophie, malgré la profondeur de son esprit, une haine enracinée. En 1808, il n’avait rien lu de Goethe. Sur mes pressantes instances, il prit Faust ; mais la puissante philosophie et la haute poésie du livre lui échappèrent complètement. »

La commission immédiate renfermait, avec Shön, un homme de haute valeur intellectuelle et de tendances assez différentes dont l’action n’y fut point d’ailleurs des plus marquées ; nous voulons parler de Niebuhr.

Stein, chargé, avant la crise de 1806, de l’administration financière, avait mandé Niebuhr de Danemark en Prusse. Celui-ci était arrivé à Berlin quelques jours avant Iéna. Il était tombé en pleine crise, et s’était bientôt trouvé assez dépaysé au milieu du désarroi des affaires prussiennes, demeurant par dévoûment, mais offrant à tout moment sa démission, poursuivant ses travaux sur les langues, apprenant le russe et le slavon dans le désordre et les loisirs de la cour de Memel et regrettant ses études historiques. Il s’était lié avec Hardenberg, Shön et Altenstein ; mais c’était de Stein que ses tendances d’esprit le rapprochaient. Il avait conçu pour la Révolution française une haine ardente qui datait de la première heure, de sa treizième année, qui ne s’était jamais démentie, et qui était un lien entre lui et Stein. Il opposait de même aux tendances théoriques de Shön des idées de conservation éclairée très analogues à celles de Stein. S’il avait été pour Hardenberg un auxiliaire utile, il se tint fort à l’écart des travaux de la commission immédiate. « Je suis, disait-il, un pur mahométan, un strict unitarien en matière administrative. J’ai horreur des commissions et de tout ce qui y ressemble. »

Il se retira à Riga, au lendemain du traité de Tilsit. Il y devint l’auxiliaire de Hardenberg pour la rédaction de son mémoire, et son conseil en matière de finances, mais ne participa plus que de loin aux travaux de la commission.

Tous ces élémens divers contribuèrent au mouvement réformateur qui imprima alors aux destinées de la Prusse une direction