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818 REVUE DES DEUX MONDES. MEYNARD. Au fait, c’est une idée... Conte-nous ta soirée, Pierre. MADEMOISELLE JAUZON. Oh! oui, monsieur. ADRIENNE. Oui, oui, mon petit papa... Conte-nous cela! PIERRE. Eh! mes enfans, est-ce que ça se raconte, ces choses-là!.. Nous arrivons, Valmeyr et moi, vers sept heures et demie chez Durand... Nous montons au premier, j’entre dans le grand salon, sur la rue Royale... (a Meynard.) Plein, mon cher, archi-plein !.. Tous mes maîtres, ceux qui m’ont dégrossi, qui m’ont mis mon premier scal- pel à la main, qui ont commencé à faire de moi ce que je suis au- jourd’hui, ils étaient là, tous, tous, vous entendez!.. Il n’y avait d’absens que ceux qui sont morts... Ah! si vous saviez ce que ça m’a fait de les voir, les pauvres chers vieux, avec leurs têtes branlantes et leurs calottes noires, hors de chez eux, loin de leurs pantoufles et de leur feu, sortis, eux qui ne sortent plus, sortis par cette âpre bise qui fauche même les jeunes, venus là pour m’embrasser, pour me dire qu’ils étaient contens de moi!.. Aimez vos maîtres, Valmeyr, aimez-les bien ! Voyez-vous, on ne sait pas ce que l’on doit à ceux qui vous ont donné les premières bec- quées delà science!.. Et à côté des bons vieux, des jeunes gens, mes élèves, à qui je cherche à rendre ce que j’ai reçu autrefois, mes élèves, mes chers élèves, venus aussi pour me féliciter, qui m’entouraient, qui pressaient mes mains, qui me soulevaient presque dans leurs bras, qui criaient mon nom!.. Ah! si vous saviez, mes bons amis, si vous saviez comme je suis heureux... Tenez!., excusez -moi... mais c’est plus fort que moi... j’en pleure encore!.. VALMEYR. On ne peut pas, en effet, se figurer un pareil enthousiasme, (a Mauhco.) Il y a des confrères de votre père qui en feront une mala- die, vous verrez !.. PIERRE. Taisez-vous donc, Valmeyr, ne dites pas de méchancetés, mau- vaise langue que VOUS êtes... (Se tournant vers Adrienne et Maurice.) Et savez-vous à qui je pensais, mes enfans, pendant ce temps-là?.. A mon père ! Je me disais : Et c’est pourtant à moi que tout cela s’adresse, à moi, le fils du père Nogaret, paysan et rebouteur dans