Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/783

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les classes dirigeantes, il faut maintenir en leur intégrité les études classiques pour tous ceux auxquels leur position de fortune les permet, et ne concéder à aucune autre instruction le même rang, les mêmes honneurs, les mêmes diplômes et privilèges sociaux qu’à la culture classique, afin d’éviter son abaissement ou sa ruine. S’il y a cinq ou six jeunes gens, dans une classe de cinquante élèves, dont on réussit à développer les capacités au-dessus de la moyenne, cette petite élite continuera la grande tradition des lettres, des arts, de la philosophie, de la spéculation scientifique, de la politique aux vues générales, tradition qui, nous l’avons vu, fait la vie même de notre race au point de vue intellectuel, moral et civique. — Mais les esprits médiocres ? demandera-t-on. Nous répondrons : — Quand on apprécie les études classiques, on ne doit pas s’occuper seulement des résultats bruts ; il est un point qu’on néglige à tort : c’est l’influence de la suggestion, dont la philosophie contemporaine a cependant montré dans d’autres cas toute l’importance. Un élève médiocre qui, pendant huit ou dix années, a fréquenté des professeurs d’un esprit élevé et désintéressé, en harmonie avec nos traditions nationales et internationales ; un élève qui a entendu, fût-ce malgré lui, une série de leçons sur les plus grands objets, et de leçons parfois éloquentes ; qui a lu un certain nombre de pages dans les maîtres de la littérature ancienne, en contact direct avec l’antiquité ; qui a suivi un cours complet et non tronqué de philosophie, s’élevant jusqu’aux sommets de la pensée ; qui enfin a eu pour condisciples des esprits eux-mêmes distingués, parfois supérieurs ; qui a assisté à leurs efforts et à leurs succès ; qui a subi en une certaine mesure l’influence du milieu, de cette atmosphère des hauteurs où ont respiré toutes nos gloires ; cet élève-là, quelle que soit sa médiocrité, ne sera pas à la fin dans le même état d’esprit qu’un élève qui aura simplement fait de bonnes études de sciences, de français et de langues vivantes. N’y a-t-il pas une suggestion inconsciente résultant de la fréquentation des esprits les plus élevés ? Un professeur d’élite, devant un très mauvais élève, n’exerce-t-il pas encore une action dont il n’a pas lui-même conscience ? Si ce maître a l’amour du beau, le culte de l’art antique et de la science moderne, l’ardeur philosophique et patriotique, en un mot l’enthousiasme de toutes les grandes idées, est-il possible que ses pires élèves n’en reçoivent pas, à leur insu, une impulsion salutaire ? Ils ne sauront peut-être pas la date de la prise de Constantinople ou celle de la bataille de Poitiers ; ils se perdront dans la querelle des investitures ou dans la guerre des deux roses ; ils ne vous diront pas si Salzbourg est en Autriche ou en Allemagne, ni si la ville de Sens faisait partie de l’ancienne Champagne ou de la Bourgogne ; ils seront incapables d’extraire