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pas du rythme musical inhérent au vers antique. Ne peut-on pas dire que, comme initiation aux principes communs et aux communes beautés des différens arts, à la symétrie, à l’eurythmie, à l’élégance structurale, au dessin précis, au coloris sobre et naturel, un vers de Virgile a une vertu qui tient à la fois au génie de la langue et au génie du poète ? C’est pourquoi l’exercice du vers latin est éminemment propre à développer le goût chez les jeunes esprits ; — le goût, qui, nous venons de le voir, n’est pas inutile aux nations et aux races, même dans la concurrence industrielle. Étudier les anciens dans des traductions ne suffirait pas. Il faut le contact direct des textes pour saisir sur le vif et l’esprit et la lettre. Pénétrons-nous bien de ce principe que, dans l’éducation, surtout esthétique, la forme a une importance capitale : le jeune homme doit apprendre l’art de donner une forme à ses pensées et à ses sentimens, car il n’y a de pensée achevée que celle qui a su se formuler, il n’y a de sentiment complet que celui qui anime la parole pour animer ensuite l’acte. Dans l’art, le fond et la forme sont, comme disait Flaubert, « consubstantiels. » Les belles formes sont déjà, par elles-mêmes, éducatives : ce sont des cadres qui, en se gravant dans l’esprit, s’imposent aux idées, aux sentimens, aux actions, et les forcent à s’embellir. L’enfant finit par penser, sentir et agir sous la catégorie du beau comme sous celle du vrai et du bon ; le laid le choque comme l’absurde ou comme le honteux. En un mot, il n’y a pas d’éducation élevée sans esthétique, ni d’esthétique complète, pour des jeunes gens qui veulent faire des études complètes elles-mêmes, sans la connaissance et le commerce direct des classiques.

— Le grec et le latin ont donc une influence mystique ? Les études gréco-latines sont donc une religion ? — Leur vertu mystique, si on entend par là une influence latente parce qu’elle est profonde et vitale, vient de tous ces liens visibles qui nous rattachent à l’antiquité et qu’ont noués, renoués vingt siècles. Vertu toute naturelle et non surnaturelle, analogue à celle de l’hérédité, de la race, de la nationalité. Et la culture classique, pour les classes lettrées et dirigeantes, est bien en effet une religion, mais sans dogmes et sans rites, qui laisse à l’esprit moderne sa liberté tout en le reliant à l’esprit antique. Puisque l’histoire, la physiologie et la psychologie démontrent notre solidarité avec les Latins, quel calcul utilitaire pourrait prévaloir contre des influences qui s’exercent par le dedans, non par le dehors ? La religion s’affaiblissant de plus en plus, le seul culte presque qui puisse la