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faudrait répondre qu’ils les ont faits précisément à l’école des anciens, où la jeunesse doit toujours revenir.

On a prétendu que les raisons en faveur du latin et du grec vaudraient aussi pour le sanscrit. — Le conte indien de Nal et Damadjanté, a-t-on dit, est une perle de poésie ; faut-il apprendre le sanscrit pour le lire et lire les autres chefs-d’œuvre hindous ? — Non, parce que le sanscrit est trop loin de nous, bien plus loin que le latin et le grec ; — et d’ailleurs trop difficile en même temps que de nul usage. De même pour l’hébreu, à qui nous devons tant, mais dont nous ne sommes point les héritiers directs. Au reste, ni le sanscrit ni l’hébreu n’ont les qualités classiques. Grâce aux loisirs dont disposaient les hommes libres de l’antiquité gréco-romaine, grâce aussi aux limites plus étroites de la patrie et, en général, de la vie, enfin grâce au développement moindre de la civilisation, les anciens ont pu trouver, dans le langage comme dans le marbre et la pierre, des moyens d’expression en conformité parfaite avec leurs idées et leurs sentimens : le fond, chez eux, ne débordant pas la forme, ils ont pu réaliser cette parfaite harmonie qui est le beau. Tout le monde convient que les littératures grecque et romaine sont les plus plastiques, les plus harmoniques, les plus finies, celles où se montre le plus grand accord de la pensée et du sentiment avec l’expression. Les langues anciennes, moins abstraites et moins usées que les nôtres, ont l’avantage de parler sans cesse à l’imagination naturelle et saine, aux sentimens naturels et sains. Les poètes de l’antiquité ont l’habitude de peindre en quelques mots ; ils font passer ainsi devant l’esprit des enfans toute une suite de scènes à la fois animées et familières. Prenez un vers quelconque de Virgile, parmi ceux qui ont acquis une sorte de banalité :


Et jam sumraa procul villarum culmina fumant,
Majoresque cadunt altis de montibus umbræ…
… Hic candida populus antro
Imminet…
Pontum aspectabant fientes…


Vous reconnaîtrez que ces vers, si simples d’ailleurs, sont propres à éveiller chez les jeunes esprits le goût et le sens de tous les arts, depuis la poésie et la musique jusqu’à la peinture et à l’architecture. Un vers latin, à lui seul, est un petit édifice, une construction symétrique qui se suffit à elle-même : il a une base et un faîte. C’est en même temps un tableau avec des plans divers[1]. Je ne parle

  1. Ne souriez pas si le professeur d’humanités fait remarquer à ses élèves ce mot de majores qui s’étale au début, suivi du cadunt, dont la chute même invite le regard à remonter vers l’horizon ; l’altis montibus, c’est la montagne qui se dresse, avec cette grande projection d’ombre qu’exprime un seul mot mis en relief : umbrœ.