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Dès ses débuts dans le commandement en chef, le général Menou déplut à l’armée et s’aliéna les généraux par des ordres du jour maladroits dirigés contre de prétendues concussions. Il était facile de reconnaître en lui un de ces hommes qui, après avoir fait partie des assemblées politiques, voient partout des conspirateurs, pratiquent l’espionnage et encouragent les dénonciations. Elles devinrent fréquentes avec le général Menou, et elles étaient inconnues avant son commandement.

Le 1er juillet, les grenadiers de la 88e vinrent nous relever à Suez. Nous partîmes pour le Caire avec une caravane de 400 chameaux, que nous chargeâmes de café pour le compte de l’armée. Nous arrivâmes au Caire le 5 juillet.

Le 8 juillet 1800, je fus nommé sous-lieutenant à la 32e, et détaché, comme quartier-maître trésorier, à la légion copte, nouvellement formée. J’entrai en fonctions le 10 juillet.

Une frégate, arrivée de France, nous apporta la nouvelle que le premier consul Bonaparte avait remporté, en Italie, la victoire de Marengo. Le général Desaix, que nous avions regretté en Égypte, y avait été tué le même jour, et presque à la même heure où le général Kléber tombait, au Caire, sous le poignard d’un assassin.

La nouvelle de cette victoire produisit dans l’armée une heureuse impression. On espéra que le premier consul, devenu tout-puissant en France, et victorieux en Italie, n’abandonnerait pas l’armée d’Égypte. En effet, nous commençâmes à recevoir, de temps en temps, des nouvelles par des bâtimens français qui échappaient aux croisières anglaises. Notre situation s’était bien améliorée. Les officiers et la troupe vivaient bien. On avait construit, au Caire, un théâtre sur lequel on jouait la comédie. La solde, grâce aux contributions et aux navires turcs saisis à Alexandrie, était au courant. L’armée était bien administrée. Elle venait d’être, tout entière, habillée de neuf, en drap ; c’est au général Kléber qu’elle devait cette amélioration. Celui-ci avait, après la victoire d’Héliopolis, imposé aux révoltés du Caire une contribution que l’on pouvait acquitter, à volonté, soit en argent, soit en draps. L’argent avait permis de mettre la solde au courant, et les draps d’habiller l’armée, que Bonaparte avait laissée vêtue de toile de coton bleue.

Après la première révolte du Caire, Bonaparte eût pu faire ce que Kléber exécuta plus tard, mais il paraît que la plus grande partie des draps qui se trouvaient chez les marchands du Caire était rouge, et Bonaparte n’avait pas voulu, disait-on, habiller les soldats de cette couleur parce que cela les eût fait ressembler à des Anglais.

Bonaparte avait, en partant, laissé vides toutes les caisses de l’armée. Mais au moment de la rupture de la convention