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étaient hors de combat. Il ne nous restait d’autre moyen de salut que de sauter par-dessus nos retranchemens et les Turcs qui étaient déjà dans le fossé ; de tourner à gauche dans la grande rue du village que le feu du fort enfilait et de rejoindre la demi-brigade. Nous prîmes ce parti, le lieutenant Isnard, moi, et environ vingt-cinq grenadiers, la plupart blessés aux membres supérieurs. Nous sautâmes par-dessus notre retranchement, nous faisant jour à coups de baïonnettes, bien peinés d’abandonner les blessés qui ne pouvaient pas nous suivre et qui nous imploraient de ne pas les quitter. Ces malheureux eurent tous la tête tranchée quelques instans plus tard. Nous partîmes à la course. Les Turcs qui occupaient les maisons nous criblaient de coups de fusil. Je ne pus bien voir ce qui se passait autour de moi, je courais tant que je pouvais, et l’on me tirait pour ainsi dire au vol. J’arrivai à un poste de la demi-brigade suivi de six grenadiers. Ces six hommes et le fourrier furent les seuls avec moi qui aient survécu. Le reste périt sur place ou en route par le feu des Turcs et peut-être aussi par celui des Français. Le lieutenant Isnard avait été tué.

Le mouvement que nous venions de faire avait découvert nos voltigeurs, mais comme leur poste du santon était isolé, ils s’y étaient barricadés. Il fallut, pour les dégager, recommencer le combat, aller comme les Turcs à la sape, de maison en maison, et les en chasser successivement pour reprendre nos postes de tranchée ; ce qui ne put se faire sans perdre beaucoup de monde. Naturellement, des deux côtés, on ne faisait pas de prisonniers.

Le soir de cette journée (28 juillet 1799) la compagnie de grenadiers du 1er bataillon de la 32e était complètement détruite. Les 3 officiers et 96 sous-officiers, caporaux ou grenadiers étaient hors de combat ; la plus grande partie morts ou estropiés. Sur 104 hommes dont elle se composait le matin, en arrivant sur le champ de bataille, il ne restait debout que le fourrier Désert, moi et six grenadiers.

Le 29, la compagnie de grenadiers fut formée à nouveau.

Le 30 juillet, la demi-brigade fut encore de tranchée.

Il s’agissait de déloger les Turcs du reste du village. Nous mîmes en pratique leur méthode de cheminement à couvert, en perçant les maisons. Arrivé à une rue, je fus sur le point d’être écrasé par une grosse pierre, qu’un Turc que je ne voyais pas sur une terrasse, allait laisser tomber sur ma tête. Le sergent Valette, des voltigeurs, cria pour m’avertir du danger. Je fis un saut en arrière, et, d’un coup de fusil, je fis tomber le Turc avec sa pierre.

Le combat était des plus rudes. Les Turcs se faisaient tuer et ne reculaient pas.

Pour exciter les nouveaux grenadiers, je courais en avant. Au