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envieux. Les ennemis de Molière ne lui ont pas nui ; et, après tout, de lutter ainsi qu’il a fait, en rendant coup pour coup, — en répondant au Portrait du peintre par l’Impromptu de Versailles, ou à l’interdiction de Tartufe en écrivant Don Juan, — c’est une manière de se sentir vivre. Mais on connaît, d’autre part, les tristesses de son ménage, et, sans nous soucier autrement de défendre ou d’attaquer une fois de plus la vertu d’Armande Béjart, on sait, à n’en pouvoir douter, ce que Molière a souffert de l’avoir épousée. Plus jeune que lui de vingt ans, coquette, légère, galante peut-être, et traînant après elle une cour d’adorateurs dont les cheveux blonds, « l’ongle long, » et

                          la voix de fausset,
Avaient de la charmer su trouver le secret,


Mlle Molière a fait connaître à son mari la réalité de ces tortures jalouses, et cette humiliation d’aimer ce qu’on méprise, qu’il a lui-même si souvent exprimées :


Chose étrange d’aimer, et que pour ces traîtresses
Les hommes soient sujets à de telles faiblesses.
...........
Leur esprit est méchant, et leur âme fragile,
Il n’est rien de plus faible et de plus imbécile,
Rien de plus infidèle : et malgré tout cela,
Dans le monde on fait tout pour ces animaux-là.


Combien de fois Molière n’a-t-il pas dû se redire à lui-même ses vers de son École des femmes ! Il fallut en venir à une séparation, et, de 1666 à 1671, Molière et sa femme ne se revirent plus qu’au théâtre. Enfin, la maladie vint s’ajouter à toutes les raisons qu’il avait d’être mécontent des autres et de lui-même, et, si l’on ne peut pas dire qu’à dater de cette même année de 1666, il commença lentement de mourir, du moins est-il vrai que dès cette époque il perdit, pour ne la plus jamais retrouver, la bonne humeur allègre des années d’autrefois. La vie, jusqu’alors « mêlée également de douleur et de plaisir, » n’eut plus pour lui désormais « aucun moment de satisfaction et de douceur ; » et quand il fallut la quitter, il y était si bien préparé que sans doute la mort lui parut comme une délivrance.

C’est ce qui explique le caractère de ses dernières pièces, — de quelques-unes au moins d’entre elles, — de ce Malade imaginaire dont nous parlions, du Bourgeois gentilhomme, de George Dandin. La satire y est évidemment plus âpre, la gaîté plus amère, et si je