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allures n’étaient pas tout à fait d’un révolté, elles étaient d’un indépendant, qui ne comptait guère avec les préjugés de


Madame la baillive, ou Madame l’élue.


La vie de bohème, l’existence aventureuse du comédien de campagne, ainsi qu’on rappelait, courant l’aventure au long d’une grande route, jouant les rois dans une grange, à Pézenas ou à Fontenay-le-Comte, voyageant dans une « roulante, » quand ce n’était pas à pied, sous le costume de ses emplois, vêtu en tyran, ou tantôt en nourrice, rappelons-nous donc que Molière l’a menée pendant plus de douze ans. Ouvrons maintenant le Roman comique. Représentons-nous l’arrivée dans les villes, à Narbonne ou à Toulouse, par une chaude après-midi d’été, les gamins accourus pour voir passer « les montreurs de jeux, » le coup d’œil curieux et défiant de l’artisan au seuil de sa boutique ou de la bourgeoise à sa fenêtre ; et le soir, les nuitées à l’auberge, le compagnonnage et la promiscuité, la grosse joie de la troupe attablée pour fêter une belle recette ; ou bien encore, le lendemain, si l’on a reçu des pommes cuites, comme cela ne laisse pas d’arriver quelquefois, la fuite au petit jour, avec la rage au cœur, qui s’exhale en récriminations réciproques, et bien souvent, en plus, l’incertitude de savoir où l’on ira coucher et de quoi l’on soupera. Ainsi s’est écoulée la jeunesse de Molière, trop heureux quand le dédain de ces provinciaux, qu’il divertissait pour un petit écu, n’allait pas jusqu’à l’outrage ! et admirable, il faut bien le dire, pour ne leur en avoir pas gardé plus de rancune, si quelques plaisanteries inoffensives sur Limoges, dans son Monsieur de Pourceaugnac, et les caricatures de la Comtesse d’Escarbagnas semblent être à peu près l’unique vengeance qu’il en ait tirée.

Mais s’il croyait à peu de choses, et, en quittant Paris, s’il avait emporté peu d’illusions, on ne voudrait pas sans doute qu’il en eût rapportées de ses pérégrinations à travers la province ! S’il avait pu, dans sa vingtième année, céder, sans y songer, au simple attrait du plaisir, il avait eu le temps, pendant ces douze ans, de voir, de comparer, de réfléchir. Et ce n’était pas enfin un « libertin » ordinaire, ou un vulgaire « épicurien, » que le comédien qui rentrait enfin à Paris, en 1658, pour n’en plus désormais sortir : il avait ses idées, il avait sa philosophie, il avait ses intentions de derrière la tête ; et tous ceux qu’il eût volontiers, comme autrefois Rabelais, traites de « cagots, matagots, cafards et chattemittes » n’allaient pas tarder à s’en apercevoir.

Je passe rapidement sur ses premières pièces : l’Étourdi, le