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telle que les lois et religions non fassent, mais parfassent et autorisent ; qui se sente de quoi se soutenir sans aide ; née en nous de ses propres racines, par la semence de la raison universelle, empreinte en tout homme non dénaturé. (Essais, III, 12.)


Ce sera bientôt le discours aussi des Cléante et des Philinte, et des Ariste de notre Molière. Même, nous pouvons dès à présent noter qu’ils n’iront pas tout à fait aussi loin que Montaigne, et qu’aucun d’eux n’osera dire aussi franchement que l’auteur des Essais :


Nature a maternellement observé cela que les actions qu’elles nous a enjointes pour notre besoin nous fussent aussi voluptueuses ; et nous y convie, non-seulement par raison, mais aussi par l’appétit : c’est injustice de corrompre les règles. Quand je vois, et César, et Alexandre, au plus épais de sa grande besogne jouir si pleinement des plaisirs naturels et par conséquent nécessaires et justes, — lisez, je pense : d’aimer la courtisane Campaspe ou d’assassiner Clitus dans un accès d’alcoolisme aigu, — je ne dis pas que ce soit relâcher son âme, je dis que c’est la roidir, soumettant, par vigueur de courage, à l’usage de la vie ordinaire, ses violentes occupations et laborieuses pensées. (Essais, III, 13.)


On attendra cent cinquante ans maintenant avant que de reparler ce cynique langage, et il faudra qu’Helvétius, que Diderot, que le baron d’Holbach aient paru.

C’est que le XVIIe siècle a vu clairement le danger ; et même, tout ce qui le caractérise dans ses premières années ne se peut comprendre et réduire à l’unité que par là : par l’inquiétude qu’il a ressentie de la propagation de ces doctrines, par l’horreur des conséquences qu’il en a vues prêtes à sortir, et par l’effort enfin qu’il a fait pour essayer de les arrêter. Les précieuses les premières, — ces précieuses dont Molière se moquera si cruellement, et dont il rendra jusqu’aux vertus ridicules, — les Arthénice et les Sapho, les Cathos et les Madelon, qu’ont-elles fait, en épurant la langue, que de tâcher de la ramener au respect d’elle-même et de ses lecteurs ? Contre ce débordement des mœurs dont le témoignage est écrit partout, dans le Moyen de parvenir ou dans le Parnasse satyrique, — et dont il faut avoir la franchise de dire qu’Henri IV a lui-même donné sur le trône un exemple bien autrement scandaleux que Louis XIV, — les « honnêtes gens » de l’hôtel de Rambouillet s’efforcent d’élever une digue. Les François de Sales et les Bérulle, de tous côtés, viennent à leur aide. Contre les