Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/662

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourquoi son œuvre, où l’ordure se mêle effrontément, pour le salir, à presque tout ce qu’il touche, est l’expression la plus complète qu’il y ait, — justement parce qu’elle est la plus trouble, — de-l’esprit de la renaissance. Il ne faut pas oublier, en effet, que les priapées de Jules Romain sont sorties de l’école de Raphaël lui-même ; et les Dialogues de l’Arétin ont suivi de bien près le néoplatonisme de l’Académie laurentienne.

Les protestans ne s’y sont pas mépris, ni Luther, ni Calvin surtout ; et, à cet égard, on ne saurait commettre de plus étrange erreur que de vouloir les réconcilier, ou plutôt les confondre, dans une espèce de sympathique indifférence, avec ceux dont ils furent les pires ennemis. Comme si cependant, aujourd’hui même encore, la haine de la renaissance n’était pas visiblement inscrite aux murs nus et chagrins du temple protestant ? Si Luther n’avait pas vu de ses yeux la splendeur tant vantée du siècle de Léon X, qu’il appelait, lui, l’époque de l’infamie romaine, et le paganisme assis sur le trône pontifical, peut-être la Réforme, commencée par une « querelle de moines, » se fût-elle obscurément terminée dans l’inpace de quelque couvent d’Allemagne ou d’Italie. Et qui ne sait également que ce que Calvin a essayé de fonder à Genève, c’est une république de justes, où la loi civile et politique, expression de la morale chrétienne, fût fondée comme elle sur le dogme du péché originel et de la prédestination ? Mais il arriva ce que ni l’un ni l’autre n’avaient prévu : je veux dire qu’en armant une moitié-de la chrétienté contre l’autre ils se rendirent suspects de faire servir les noms de liberté, de morale, et de religion à des fins temporelles ; qu’ils compromirent la cause dont ils s’étaient fait les défenseurs dans de déplorables et sanglantes querelles ; et qu’à la faveur de leurs disputes contre le catholicisme ce ne fut pas la morale qui se rectifia, mais bien l’indifférence, le scepticisme et l’épicuréisme qui gagnèrent.

A la fin du siècle, en effet, le langage de Montaigne est identique à celui de Rabelais :


J’ai pris, — dit-il, — bien simplement et bien crûment, pour mon regard, ce précepte ancien que : « Nous ne saurions faillir à suivre nature, » que le souverain précepte, c’est de « Se conformer à elle. » Je n’ai pas corrigé, comme Socrate, par la force de la raison, mes complexions naturelles, et n’ai aucunement troublé par art mon inclination. Je me laisse aller comme je suis venu ; je ne combats rien… Dirai-je ceci en passant ? que je vois tenir en plus de prix qu’elle ne vaut, qui est seule quasi parmi nous en usage, certaine image de prudhomie scolastique, serve des préceptes, contrainte sous l’espérance et la crainte. Je l’aime