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entier produisait beaucoup plus que ne pouvait digérer le marché d’Europe, et que, par cette unique raison, l’oncle Sam, à l’aide de promesses fallacieuses de détaxes douanières, cherchait à recruter chez eux 30 nouveaux millions de consommateurs. Il ne leur a pas fallu non plus grande clairvoyance pour deviner que la grande sœur du nord ne possédait point de marine propre, et comptait gracieusement sur le trésor de ses cadettes, pour établir à bon marché une navigation à vapeur en état d’exporter ses propres produits.

Malgré la rapidité de leur voyage circulaire, tous ces points noirs, qu’une plume des plus autorisées signalait ici même[1] avec tant de prévoyance, sous le titre des Mécomptes et des succès des États-Unis, ne leur ont point échappé. Ils se sont convaincus, non sans éprouver un certain plaisir, que les États-Unis sont à l’heure présente, non point menacés, mais bien atteints d’une crise agricole qui va en s’aggravant, et qui doit devenir un péril sérieux à très brève échéance.

Durant la dernière partie de leur séjour dans la capitale fédérale, les membres de la conférence Pan America ont en effet assisté aux doléances des campagnes qui sont venues frapper bruyamment aux portes du Capitole. Ils ont entendu députés républicains ou démocrates, entre autres ceux du Kansas, dénoncer le mal en termes virulens sur les bancs du congrès. Ils ont lu les séries d’articles alarmans, publiés et répétés par toute la presse américaine sous ces titres significatifs : Depression agricultural. — Ruination of farmers’. — The distress of agriculture.

Enfin, les débats publics et privés leur ont révélé la génération spontanée et le fonctionnement d’une nouvelle association, grosse de menaces dans un prochain avenir tant sur le terrain économique que politique, sœur rurale et déjà l’étroite alliée des « Chevaliers du travail : » nous voulons parler de The Farmers’ Alliance.

À cette heure, la question sociale est posée dans les campagnes comme dans les villes. Capital et salaire sont face à face. Qui a fait naître la question ? Comment sera-t-elle, sinon résolue, du moins traitée ? C’est ce que nous allons rechercher, en interrogeant le passé et le présent du sol américain. Ce qui est hors de doute, c’est qu’à cette heure le fermier des États-Unis, propriétaire et locataire à bail, est et se sent menacé, dans la plupart des états fédéraux, d’une ruine imminente, à moins que républicains et démocrates ne s’entendent sans retard sur les mesures dictées par

  1. Voyez, dans la Hevue du 15 février 1889, le Centenaire d’une constitution, par M. le duc de Noailles.