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l’Éthiopien. On respira dans Jérusalem ; les crocs du monstre qui tenait la ville enserrée commençaient à se relâcher.

On éclata de joie quelques semaines après. L’armée assyrienne n’existait plus ; elle avait été détruite dans la Basse-Égypte, plus ce semble par les maladies que par l’épée des ennemis. Sennachérib regagna Ninive en fuyard.

Quel triomphe pour Iahvé ! Les prophéties d’Isaïe s’étaient accomplies de point en point. Ézéchias avait vaincu, parce qu’il avait eu confiance en Iahvé seul. Très vite la légende se forma. On se rappela les oracles d’Isaïe, annonçant que l’armée de Sennachérib serait exterminée en Judée, sans le secours de la main de l’homme. La peste, dans l’antiquité, était toujours attribuée à un Dieu ou à un ange exterminateur. On raconta bientôt que le maleak Iahvé, en une nuit, avait tué cent quatre-vingt-cinq mille Assyriens, et que, le lendemain matin, la plaine était couverte de cadavres. Les Égyptiens expliquèrent également la disparition de l’armée assyrienne par un miracle[1].

Le règne de Sennachérib se prolongea longtemps encore, brillant et prospère. Plus tard, il fut, dit-on, assassiné par deux de ses officiers, Adrammélek et Saréser, pendant qu’il priait dans un temple. Cette fin fut considérée comme une suite de la vengeance divine. Les annalistes juifs en avancèrent la date pour la rapprocher de l’extermination prétendue et rendre plus complète la vengeance de Iahvé. Les ennemis de la théocratie n’ont pas le droit de mourir sans que leur mort soit une punition du ciel.


IV

Par la disparition de Sennachérib, Ézéchias se trouva porté à un degré de puissance supérieur à celui dont il avait disposé dans la première partie de son règne. Les petits princes voisins, qui avaient bénéficié de ses disgrâces, s’empressèrent de se remettre bien avec lui. Les présens lui arrivèrent de tous les côtés. Ses trésors, qu’il avait dû vider pour payer sa rançon, se remplirent promptement. La sécurité du côté de l’Assyrie était absolue. Comme tout état bicéphale, l’empire fondé sur l’union momentanée de Ninive et de Babylone menaçait de se disloquer. Mérodach-Baladan, qui depuis longtemps déjà représentait la protestation de Babylone contre Ninive, rechercha l’alliance du roi de Juda. Depuis le temps de Josaphat, on n’avait pas vu à Jérusalem une telle prospérité.

  1. Isaïe, XXXIX, 2 ; II, chron., XXVII et XXXII.