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règles, connues et pratiquées de tous les marins, qui préviennent les abordages entre navires voisins.

Ce concept, à la fois simple et hardi, devait soulever des objections très vives et une opposition longtemps victorieuse : c’est le sort des idées justes… Il n’a pas fallu moins que les manœuvres entreprises depuis trois ans, et surtout le simulacre d’attaque et de défense de nos côtes du mois de juillet dernier, pour convaincre la majorité de nos officiers qu’à la guerre on aurait d’autres soucis que celui de tracer sur la face des eaux des courbes harmonieuses et des lignes savamment entrecroisées. On a senti qu’au-dessus de ces inutiles évolutions il y avait des mouvemens d’un tout autre caractère, imposés par les circonstances, des dislocations et des concentrations rapides qui n’avaient pour objet que de présenter à l’ennemi, en un point donné et au moment voulu, une ou plusieurs divisions groupées dans un ordre quelconque. — Il a fallu convenir que le soin de s’éclairer à grande distance pour se couvrir contre toute surprise, de reconnaître à temps, la nuit surtout, l’ami de l’ennemi, de maintenir dans un sang-froid parfait des équipages quelquefois impressionnables, allait absorber la meilleure part de l’attention des états-majors, et que ces états-majors eux-mêmes devaient tenir un large compte de la fatigue nerveuse, de la rapide usure des forces, en un mot des effets physiologiques de l’état de guerre, un peu trop oubliés peut-être.

Ce n’est pas tout : on a dû constater qu’il était difficile, au moins dans les premiers jours, d’exiger des bâtimens tirés en toute hâte de la réserve, la somme d’efforts que fournissaient ceux de l’escadre permanente : le service des signaux, pour m’en tenir à l’ordre d’idées qui nous préoccupe spécialement, ce service si important dans une force navale et auquel on avait laissé prendre une extension sans doute excessive, a paru souffrir, en Angleterre comme en France, de l’inexpérience ou du défaut d’exercices suivis des timoniers de la réserve.

De cet ensemble de faits, — et j’en néglige d’aussi probans, — ne résulte-t-il pas pour le commandant en chef la convenance de n’ordonner que les mouvemens indispensables, assez indiqués par les circonstances pour que les capitaines et les officiers de quart puissent suppléer aux indications insuffisantes ou erronées de la timonerie ? — N’en résulte-t-il pas aussi l’avantage de n’exécuter de changemens de route, — ou de direction, — que par la contre-marche, ce qui entraîne l’adoption de la ligne de file ou d’une formation dérivée de la ligne de file comme ordre de marche à peu près exclusif ? — Dans ce cas, en effet, chaque cuirassé, n’ayant d’autre préoccupation que de se tenir exactement dans les