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premières divisions voyaient leurs voiles se gonfler quand les dernières restaient immobiles, en plein calme ; ainsi de l’escadre d’Ashby, arrière-garde de la flotte anglo-batave, le jour de la sanglante bataille de la Hougue. Ajoutons que l’imperfection des signaux laissait toujours le commandant en chef dans l’incertitude si ses intentions avaient été comprises par les derniers vaisseaux de son escadre, qui naviguaient derrière les limites de l’horizon.

Un des premiers progrès, et des plus utiles, fut de répartir cette masse confuse de navires entre trois ou quatre chefs subalternes à qui un mérite reconnu ou une haute situation sociale assuraient une autorité morale incontestée. Déjà, en 1544, l’amiral d’Annebaut, un précurseur trop peu connu, avait formé trois escadres de ses deux cents galiotes de guerre et constitué une division légère, dont le rôle était parfaitement défini, avec les cinquante galères du baron de La Garde. Chargé par François Ier d’attaquer la flotte anglaise et de dévaster le littoral britannique, l’amiral parut, le 18 juillet 1544, devant l’île de Wight, à l’abri de laquelle se tenait l’armée ennemie, mouillée dans le Soient et vers Portsmouth. Les Anglais refusant le combat au large, d’Annebaut prescrivit au baron de La Garde de les harceler avec ses galères jusqu’à ce qu’ils se décidassent à sortir de leur réduit. Le général des galères manœuvra si habilement qu’il coula un des vaisseaux anglais et réduisit le Henri-Grâce-à-Dieu, que montait l’amiral, à s’échouer à Gosport. L’armée anglaise ne pouvait se laisser ainsi détruire en détail : profitant d’une brise favorable qui se levait de terre, elle courut sur les galères françaises ; celles-ci, tout en combattant, se replièrent sur les trois escadres d’Annebaut. L’amiral se flattait d’un engagement décisif lorsque, après une canonnade lointaine, les Anglais serrèrent le vent et reprirent leur mouillage. Les flottes de ce temps-là n’étaient pas approvisionnées pour tenir longtemps la mer ; l’amiral d’Annebaut, désespérant d’en finir par une bataille en règle, opéra une descente à Sandown bay et ravagea complètement la florissante île de Wight.

Il faut pourtant descendre encore d’un siècle pour voir des flottes de 80 à 100 vaisseaux divisées d’une manière permanente en trois escadres : l’avant-garde, le corps de bataille et l’arrière-garde, dénominations arbitraires, du reste, pour la première et la dernière, car le caprice des vents pouvait mettre l’arrière-garde en situation d’ouvrir la marche ou de commencer le combat.

Chaque escadre se partagea bientôt en plusieurs divisions, et, comme le vaisseau-amiral, les navires que montaient les chefs d’escadres et les chefs de divisions arborèrent des pavillons particuliers, des marques distinctives. Ces officiers généraux eurent