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conventionnels, de la déférence hiérarchique, par exemple, qui, à moins de mission spéciale, ne permet pas de dépasser le navire que monte le commandant en chef.

Qu’on laisse donc agir les diverses volontés particulières qui donnent l’impulsion aux différens navires, et peu à peu l’armée s’égrènera sur la route à suivre, chacun adoptant l’allure la plus convenable d’après les circonstances atmosphériques, d’après les facultés nautiques de son bâtiment.

J’ai à peine besoin de montrer les inconvéniens d’une telle méthode, en dehors même du point de vue exclusivement militaire : la route suivie à la mer, pour se rendre d’un point à un autre, est rarement une ligne droite, et ses inflexions dépendent d’élémens dont l’appréciation varie avec le caractère, l’expérience, les aptitudes professionnelles de chaque capitaine. Les routes ne seront donc pas identiques pour toutes les unités de l’armée navale, et le commandant en chef n’aura même pas la certitude de conserver autour de lui les navires pourvus des mêmes qualités, de la même vitesse que le sien. Vienne le mauvais temps, et, chaque bâtiment cédant à sa manière aux efforts de la mer et du vent, l’escadre se dispersera sur une aire considérable : dès lors les navires compromis ne pourront plus espérer de secours.

Il est donc nécessaire de marcher groupés, de naviguer « de conserve, » et c’est ainsi en effet que, depuis les temps les plus reculés, naviguent les bâtimens chargés, sous les ordres d’un chef unique, d’accomplir la même mission.

La navigation de conserve, qui n’implique guère d’autre condition que celle de ne pas perdre de vue ses compagnons de route, telle est l’origine de la navigation d’escadre, aujourd’hui si compliquée ; le groupe, tel est l’ordre rudimentaire.

Mais que d’inconvéniens à lui reprocher ! que d’à-coups dans la marche, que d’abordages involontaires, la nuit surtout ; et lorsque les navires, pour les éviter, instinctivement élargissent leurs intervalles, combien de séparés du convoi, combien de perdus au lever du jour !

C’est ce qui arrivait presque toujours autrefois, et même aux marins les plus expérimentés, à ceux, par exemple, qui montaient cette vaillante escadre dieppoise du temps d’Henri II dont nous aurons peut-être l’occasion de commenter les hauts faits : « Et le lendemain septième, au poinct du jour, dit la chronique, l’armée se treuva aucunement séparée, parce que les navires n’avoient viré la nuict précédente si tôt les uns que les aultres. »

Au XVIIe siècle pourtant, quand la science de l’équilibre du bâtiment sous voiles se fut répandue et qu’une habile répartition de la