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suprématie sur la mer, tel est le plus simple et souvent aussi le plus judicieux concept stratégique que puisse adopter, au début des hostilités, le chef de notre armée navale.

Marcher à l’ennemi, toutefois, cela suppose que l’on est exactement renseigné sur le point qu’il occupe et sur ses desseins. Sans doute, jusqu’au moment où la guerre a été déclarée, les communications des consuls, les inévitables indiscrétions de la presse, la connaissance que l’on a des points de concentration obligés des forces ennemies, ont dû fournir au ministre et au commandant en chef des renseignemens suffisans sur la position du gros de l’armée navale que l’on veut combattre. Mais, la déclaration faite, la plupart des moyens d’information disparaissent, et si quarante-huit heures s’écoulent entre l’interruption des communications directes et le départ de notre flotte, le commandant en chef tracera sa ligne d’opérations à l’aventure. Le plus souvent ce sera devant un port vide, devant une rade abandonnée que se présenteront ses vaisseaux déroutés, affaiblis déjà par une inutile consommation de charbon.

Il importe donc au plus haut point de prendre le contact avec l’armée navale ennemie aussitôt les hostilités ouvertes.

Difficile à réaliser autrefois, quand les éclaireurs, si bons marcheurs qu’ils fussent, étaient obligés de compter avec les vents, ce contact immédiat et continu devient possible lorsqu’on dispose de navires rapides et solides à la fois, capables de croiser devant un port quelque temps qu’il fasse, capables de refouler la mer pour aller en toute hâte porter au sémaphore le plus voisin un avis précieux.

L’idéal serait qu’une chaîne ininterrompue d’éclaireurs reliât la base d’opérations de notre escadre avec celle de la flotte ennemie. Cet idéal est irréalisable : en supposant que ces navires pussent communiquer par signal à dix ou quinze milles de distance, il en faudrait encore un nombre trop considérable. Ajoutons que les communications par signaux sont toujours précaires quand elles s’écartent des prescriptions usuelles de la tactique. — Mais cette condition n’est pas indispensable : formons avec les éclaireurs immédiatement disponibles, par exemple avec ceux qui font partie de l’escadre d’évolutions, une division légère à laquelle nous adjoindrons quelques-uns des torpilleurs de haute mer armés dans le port qui nous sert de base. Tâchons de donner comme noyau à cette division légère, sinon un cuirassé rapide et abondamment pourvu de charbon, rara avis, du moins un grand croiseur protégé, un navire enfin qui soit capable de tenir tête à ceux que l’ennemi ne tardera pas de dépêcher à cette division légère pour la