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la Vierge Marie à témoin que le faux chevalier ne m’échappera, que je ne lui ai montré ma force et maistrie. Ou je le détruirai ou j’y laisserai ma vie, si devant la compagnie ne me veut rendre son épée par la pointe aiguë, en disant : Je me rends à votre commandement. — Il ne le fera mie, répondit vivement sir Robert Knolles. — Certes, dit Bertrand, ce serait grand’folie, car on doit plus redouter vilenie que mort. — Par saint Michel et saint Denis ! à la rescousse ! clament les hérauts français. — A la rescousse ! par saint Georges et Lancastre ! répondent les Anglais. Les fanfares stridentes éclatent, les deux champions piquent de l’éperon et se rencontrent au milieu de la place. « Par-dessus les écus, les lances sont froissées et le feu est sailli ; mais ni l’un ni l’autre ne clina. » Ils se passent dans la course et, revenant sur eux, ils tirent leurs épées. Las de frapper sur l’écu et la chemise de fer, les voilà qui se prennent corps à corps et ne se lâchent plus. Sous eux les chevaux écumans hennissent et se cabrent, sans pouvoir les séparer ni les lancer hors de leurs arçons. Les chevaliers-centaures vont s’étouffer. Enfin, l’Anglais laisse choir son épée. Aussitôt Du Guesclin saute à bas du cheval et jette l’arme de l’adversaire hors du champ. Ce que voyant, l’Anglais s’élance ventre à terre sur le piéton pour le renverser. Bertrand esquive la charge, pique le cheval qui se cabre ; le cavalier trébuche et roule par terre. Alors Bertrand fond sur lui « comme lion crété » et l’aveugle de coups. Knolles s’interpose : « Vous en avez fait assez pour l’honneur. Je vous requiers que vous vouliez bailler votre champion au duc. Bon gré vous en aura. — Je l’octroie, dit Bertrand, tout à votre désir. » Et s’agenouillant devant le duc de Lancastre : « Noble duc, ne me veuillez haïr ni blâmer, ne fût pour votre amour, il eût été occis. — Il ne mérite guère mieux, reprit le duc, et de tant qu’en avez fait on vous doit bien priser. Votre frère Olivier aurez hors de prison. » Ce combat acharné et chevaleresque de Du Guesclin pour son frère est l’image de sa destinée. C’est ainsi qu’il lutta toute sa vie pour arracher la France à l’étreinte de l’Angleterre.

Tiphaine Ravenel, jeune fille noble, âgée de vingt-quatre ans, et qu’on appelait « la belle de Dinan, » prédit cette victoire à Du Guesclin. « Elle avait, dit le chroniqueur, du sens d’astronomie et de philosophie, était bien écolée et c’était la plus sage et la mieux doctrinée du pays. » Du Guesclin, qui n’était ni sentimental ni superstitieux, se moqua de la prédiction. « Va, fol, dit-il à son écuyer, qui en femme se fie n’est une sage. » Cependant plus tard, entre deux guerres, il se souvint de Tiphaine et l’épousa. Elle vint habiter avec lui la capitainerie de Pontorson. Pour la mettre à l’abri des coups de main, Du Guesclin lui fit construire une maison de