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II. — ÉPOQUE MÉROVINGIENNE, SAINT MICHEL ET SAINT AUBERT, LES NORMANDS ET LA RELIGION D’ODIN, TRIOMPHE DU CHRISTIANISME.

Huit siècles s’étaient écoulés depuis la conquête de la Gaule par César. Les légions romaines avaient éclairci à coups de hache les ombres des forêts druidiques où le soleil ne pénétrait jamais. Les derniers représentans de l’indépendance gauloise, Sacrovir et Civilis, étaient morts écrasés. Les druides échappés au massacre s’étaient enfuis au-delà de la mer, en Bretagne, et les dieux de Rome avaient remplacé les divinités celtiques. Mais un seul dieu visible et tout-puissant régna sous les Romains. Il se nommait César Auguste, empereur et pontife suprême. Sa statue triomphale, au masque dur couronné de lauriers, une tête de Méduse sur la poitrine, dominait toutes les autres, dans les temples, les thermes, les amphithéâtres et les cités de pierre que voyaient pousser avec effarement les bois chevelus de la Gaule. Ce dieu s’appelait tour à tour Tibère, Néron, Caligula ; mais il signifiait toujours la même chose : anarchie couronnée, déification du pouvoir politique absolu. Comme une autre tête de Méduse, ce spectre sinistre tuait la vie sociale, la liberté de l’individu, toutes les nobles espérances autour de lui. Puis, les Huns, les Germains étaient venus. Saxons, Burgondes, Hérules, Ostrogoths avaient paru presque des libérateurs après l’étouffante tyrannie du lise et de la légion romaine. A Toulouse, à Bordeaux, on avait vu des rois goths singer la majesté impériale, et les patriciens, les évêques de la Gaule, les ambassadeurs de Constantinople faire antichambre à leur porte. Enfin, les derniers venus des barbares, les Franks, avaient arrêté le flot des invasions en se fixant dans la Gaule septentrionale. Une nation nouvelle, composée des élémens les plus divers, se cherchait dans le chaos sanglant de la royauté mérovingienne.

Pendant ces huit siècles, le christianisme avait pris possession de la Gaule par des voies opposées à celles du pouvoir absolu. Il changea la face du monde en renouvelant les âmes. Les vrais vainqueurs de Rome ne furent pas ces barbares qui se disputaient les lambeaux de la pourpre impériale, mais ces martyrs chrétiens qui renversaient les statues des dieux et rayonnaient d’extase, au milieu des supplices, en bravant César tout-puissant. Devant ces vierges pâles et sublimes, sa statue d’airain tomba en poussière. Le Christ triompha également des barbares en leur imposant pacifiquement sa loi par la bouche des saints, des moines, des évêques devant lesquels reculaient Clovis et Frédégonde.

C’est à la sombre et rude époque mérovingienne que remonte la