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flèches sur les épaules, toutes couronnées de verveine. Elles tournaient autour d’un feu surmonté d’un vase de cuivre, où écumait l’eau, et y jetaient des herbes et des fleurs. Dans ce vase, elles élaboraient leurs philtres et invoquaient Koridwen avec des interjections courtes et haletantes.

Quelquefois donc, au milieu de leurs cérémonies, les prêtresses voyaient s’avancer dans leur cercle un guerrier au casque coiffé d’ailes d’aigle, son épaisse chevelure d’une teinte enflammée roulant en grosses tresses sur son dos, le regard fier, le bouclier quadrangulaire et l’épée à la main. « Par Bel-Héol aux cheveux de flamme, qui réchauffe le cœur des braves et fait naître les plantes salutaires au cœur de l’homme, je demande asile aux prophétesses. Pour savoir ma destinée de l’une de vous, je donne ma vie en gage. Je la jette comme ce bouclier et cette épée dans le cercle des dieux. » Affolées de stupeur et ramassées en un groupe, les sénés écoutaient ce défi ; puis, avec un cri sauvage, une clameur stridente, elles se jetaient sur l’audacieux. Il se laissait faire en riant. En un instant il était désarmé, terrassé, lié par les neuf femmes changées en Furies : u Que la plus jeune fasse le sacrifice à Koridwen, disait la plus âgée des druidesses. » Car la loi des sènes voulait que le profanateur mourût sur-le-champ. Dédaigneux, il chantait en les bravant : « Par Bel-Héol, frappez,.. je ne vous crains pas, frappez le fils du soleil, filles de la lune,.. prêtresses de la nuit. Frappez ! et libre je partirai pour le grand voyage. Ma langue dira mon chant de mort au milieu du cercle de pierres ; mon sang coulera dans la corne d’or, sous la main de la femme. Avance,.. la corne d’or dans ta main,.. la main sur le couteau,.. le couteau sur ma tête ! .. »

Et le couteau brillait dans la main d’une femme échevelée sur ce beau corps palpitant, garrotté sur le roc. Mais quelquefois le regard farouche de la druidesse, fasciné par celui de sa victime, se troublait d’un vertige inconnu ; son bras se glaçait ; le couteau tombait de sa main. Dans son œil hagard, une immense pitié succédait à la fureur sacrée. Alors, malheur à elle… la sacrificatrice devenait la victime. L’homme avait vaincu. Livrée au vainqueur, la druidesse devait mourir à sa place. Ses compagnes poussaient un cri d’horreur, une malédiction terrible. Elles jetaient sur l’abandonnée l’ache et la cendre en détournant la tête. Puis, elles s’enfuyaient à la hâte sur leurs barques, rapides comme des mouettes, saisies d’épouvante, en jetant dans la nuit des notes aiguës avec l’écume de leurs rames.

Et pour trois jours, l’île de la Mort devenait l’île de l’Amour. Trois jours, trois nuits de grâce, trois sourires de lune nuptiale et