Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/527

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naturalistes et philosophes de l’antiquité sont d’accord sur ce point et contredisent absolument ceux d’entre les modernes qui ne veulent voir dans les druides que d’habiles sorciers, exploiteurs de la crédulité populaire. César dit « qu’ils étudiaient les astres et leurs révolutions, l’étendue du monde et des terres, la nature des choses, la force et la puissance des dieux immortels. » Il ajoute que, pour les affaires d’état, ils se servaient de l’alphabet grec ; mais qu’ils considéraient comme un sacrilège de confier leurs préceptes à l’écriture, ce qui implique nécessairement l’idée d’une doctrine secrète. Diodore de Sicile leur attribue la doctrine pythagoricienne. Il les appelle « des hommes qui connaissent la nature divine et sont en quelque sorte en communication avec elle. » Ammien Marcellin dit que, « s’élevant au-dessus des choses humaines, ils proclamèrent les âmes immortelles. » Pline les nomme « les mages de l’Occident. » Cicéron vante la science du druide Divitiac qu’il hébergea longtemps à Rome.

Qu’était-ce donc que cette doctrine des druides ? Elle a survécu par fragmens dans les triades bardiques, dans quelques vieilles traditions du pays de Galles, de l’Irlande et de la Bretagne. Ses grandes lignes reparaissent dans le mystère des bardes bretons[1]. « Les âmes, disaient les druides, sortent de l’abîme de la nature, où règne l’implacable fatalité ; mais elles émergent dans Abred, le cercle des transmigrations, où tous les êtres subissent la mort et progressent par la liberté ; enfin, elles atteignent Gwynfyd, le cercle du bonheur, où tout procède de la vie éternelle, où l’âme retrouve son génie primitif et recouvre la mémoire de ses existences précédentes. Quant au cercle de Dieu, Ceugant, océan de l’infini, il enveloppe et contient les trois autres, les soutient de son souffle, les pénètre de sa vie. » Sous sa forme originale, cette conception rappelle la grande doctrine des mystères. Elle dut venir aux druides d’une initiation égyptienne ou orientale. Mais ce qu’il y a d’essentiellement celtique et occidental dans la doctrine des druides, ce qui la marque au coin de la race, c’est le sentiment énergique de la personnalité humaine, c’est son affirmation croissante à mesure qu’elle monte dans les éblouissemens de la lumière divine. Ce génie propre qui

  1. Traduit par Adolphe Pictet ; Genève, 1854. On en a contesté l’authenticité. On a prétendu que ces triades étaient une fabrication de théologiens du XVIe siècle, comme on a prétendu que les livres d’Hermès n’avaient rien d’égyptien, que la kabbale juive était une invention d’un rabbin du XIIIe siècle. Qu’une teinte chrétienne se soit répandue avec les siècles sur la tradition orale des bardes, cela est certain. Mais les idées fondamentales qui en constituent la charpente et la raison d’être, à savoir la transmigration des âmes et la doctrine des trois mondes, n’ont rien à faire avec la théologie chrétienne du moyen âge. Elles ne peuvent venir que des druides et par eux de la grande tradition ésotérique de l’antiquité.