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504 REVUE DES DEUX MONDES. froid de son hôte, qu’il connaissait pour l’avoir longuement étudié aux heures de contrainte, et aussi pour l’avoir surpris au cours de quelques manifestations libres ou involontaires de sa nature. Mais que pouvait être cette résolution? L’important, c’était qu’elle ne fût pas dirigée contre Marie-Madeleine. Aussi M. Real, ayant accepté l’invitation de chasser à courre le lendemain, accepta-t-il égale- ment de revenir coucher le soir au château, après avoir été cher- cher à Nancy ce qui lui était nécessaire pour l’expédition projetée. Sans qu’il pût rien prévoir, il était à peu près sûr qu’une partie décisive allait se jouer entre le baron et lui ; mais, comme il avait lieu de craindre que son adversaire n’essayât, une fois encore, de mettre la main sur l’enjeu avant de lier partie, il tenait à ne pas lui laisser le champ libre. Il revint donc pour le dîner, et ce fut son hôte qui le reçut d’abord. Les deux hommes se regardèrent avec attention, comme si l’un et l’autre se fussent proposés de surprendre réciproquement quelque chose de leurs projets. Il n’y avait plus entre eux de secret impor- tant; leurs griefs mutuels étaient, sinon égaux en valeur, du moins d’une netteté et d’une acuité pareilles. Ils devaient donc s’attendre à un choc, à une crise prochaine, et s’efforcer d’en apercevoir les prodromes. Chacun avait l’impression de ne plus dissimuler que pour la forme. Quand M. de Buttencourt offrit à M. Real d’aller faire un tour aux écuries pour voir les chevaux qui chasseraient le lendemain et choisir, sur son conseil, une monture, le fiancé de Marie-Madeleine crut que son hôte avait la mauvaise et très simple pensée de l’en- gager à risquer, par amour-propre, une chute mortelle en arrêtant son choix sur un certain animal capricieux et parfois terrible, — sauteur hors ligne, d’ailleurs, — que, seul, le châtelain de Rubé- court avait monté jusqu’alors. Mais il fut vite détrompé, car le baron déclara, sans tarder, que la dangereuse bête n’aurait pas d’autre cavalier que lui-même. Ensuite, la conversation ayant dé- vié du côté de la chasse à tir et M. de Buttencourt ayant annoncé son intention d’organiser prochainement une grande battue, Frantz s’imagina que son hôte lui réservait une balle ou une chevrotine égarée avec à-propos dans sa direction, — à moins qu’il ne voulût en venir à lui proposer un duel déguisé, dans le goût de celui qui termine un roman célèbre. — Il lui fallut renoncer encore à cette autre idée romanesque, lorsque son hôte lui eut déclaré qu’il ne l’invitait même pas, pensant qu’il aurait bien autre chose à faire le jour où la battue serait organisée. — Qu’entendez-vous par là? — Dame! mon cher, puisque vous devez prendre date, aujour-