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société israélite de pouvoir devenir le modèle complet d’une société civilisée, ainsi que cela est arrivé pour la Grèce. L’Assyrie toute-puissante mettait la Palestine dans l’état où se fût trouvée l’Hellade si la Perse l’eût vaincue deux cents ans plus tard. L’emploi beaucoup plus répandu de l’écriture donnait à la Syrie du VIIIe siècle sur la Grèce du même temps une avance énorme ; mais la liberté civique a des avantages que rien ne compense. Le génie grec, tout renfermé qu’il était dans le cercle étroit des récitations homériques et hésiodiques, se décelait déjà comme plus compréhensif, plus étendu, plus laïque, si j’ose le dire. L’esprit grec l’emportera dans l’ordre intellectuel, philosophique, politique ; mais les questions religieuses et sociales échapperont à sa sérénité enfantine. Isaïe a planté le drapeau de la religion de l’avenir quand Solon et Thaïes de Milet ne sont pas nés encore. On est enragé de justice à Jérusalem, quand, à Athènes et à Sparte, nulle protestation ne s’élève contre l’esclavage, quand la conscience grecque, dans les conjonctures embarrassantes, est satisfaite de cette raison péremptoire : Διὸς δ’ ἐτελείετο βουλή.


III

La domination assyrienne n’était que militaire. L’œuvre de la conquête était sans cesse à refaire. Le passage des armées n’était pas suivi, comme cela eut lieu pour la domination romaine, d’une sorte de conquête administrative et civile. Sargon, qui, au commencement de son règne, s’était montré si terrible à la Syrie, fit peu parler de lui en ce pays durant les quinze années qui suivirent.

Les nuages qui obscurcirent la fin de son règne purent encourager la révolte. Kzéchias cessa de payer le tribut et rompit ainsi les liens de vassalité qui l’attachaient à Ninive. En même temps, il entamait des négociations avec l’Égypte, avec l’Éthiopie surtout, qui était alors au comble de sa puissance et qui entretenait avec la Syrie des relations très suivies.

Il semble qu’en tout cela Ézéchias suivait les conseils de Sebna, qui avait, à ce qu’il paraît, conservé son crédit à la cour sous un autre titre. Isaïe continuait ses intrigues et ses déclamations contre lui. On peut rapporter à ce moment le manifeste où Jérusalem est désignée sous le nom symbolique d’Ariel[1]. Ariel sera broyé dans un an par des masses compactes qui approchent. Ce sera sa faute ; Ariel n’écoute pas les prophètes ; il ne

  1. Isaïe, ch. XXIX.