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498 REVUE DES DEUX MONDES. la prolongation de rapports journaliers avec un tel monstre, sphinx’ ou harpie, même redevenu muet. D’un autre côté, cesser, sans explications précises, de venir à Ru- bécourt et s’excuser à l’aide de laux-fuyans quelconques, c’était plus que difficile. Quant à parler à Hélène du retour possible de son mari, il n’y fallait pas songer. Restait Marie-Madeleine, par qui, d’un mot, tout pouvait être tranché. Sans beaucoup tarder, Frantz résolut de la mettre encore en demeure et de la pousser dans ses derniers retranchemens. — Le séjour avait assez duré pour qu’on ne pût reprocher au jeune homme de manquer de tact ou de manquer à sa parole. Un matin donc qu’il était venu de bonne heure, pour déjeuner au château, il profita d’une promenade à deux, qu’il faisait pédes- trement avec Marie-Madeleine aux abords du village, en attendant l’heure du repas. Le temps était doux et radieux. La teinte du ciel, la clémence de l’air, quelques vagues senteurs des bois, tout faisait croire à un printemps hàtif démentant le calendrier et trichant contre l’hiver. Des paysans revenaient d’une foire voisine, juchés sur leurs bidets ou vautrés dans leurs carrioles. Et deux Nemrods de village, peut- être un peu braconniers, regagnaient en sifflant et en chantant leurs pénates, avec leurs carnassières pleines qui leur battaient les mollets, et leurs chiens, harassés, qui leur marchaient sur les talons. — Heureuses gens ! dit Frantz. Moi, je ne chasserai plus... plus de cette saison, du moins. — Qui vous en empêchera? — Mais... ce sont les circonstances. Ici, je ne peux pas chasser tout seul. Et, sous peu, je serai très affairé, à Nancy d’abord, puis à Paris. — Voulez -vous des vacances? demanda Marie - Madeleine en s’effbrçant d’être gaie. — Non, merci. J’aimerais mieux... Il s’arrêta au milieu du chemin. Puis : — J’aimerais mieux la rentrée, dit-il d’un ton demi-sérieux. Et, comme la jeune fille voulait reprendre sa marche sans répli- quer, il la retint, pour ajouter posément : — Car, je ne puis vous le cacher, l’heure en est venue... J’ai fait tout ce que vous avez voulu, Marie-Madeleine... excepté de renoncer à vous. A votre tour, faites quelque chose pour moi : fixez une date. — Une date ! fit la jeune fille avec effroi. — Eh! oui... Nous ne pouvons rester indéfiniment dans cet état. En tout cas, moi, je ne saurais continuer mes visites à Rubécourt. C’est un grand sacrifice que je vous ai fait, à vous et à votre cou-