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488 REVUE DES DEUX MONDES. Ces paroles furent prononcées avec un tel accent de conviction farouche et de douleur concentrée, — le dernier mot surtout, ce « rien » qui, à lui seul, était tout un credo ironique et cruel, — que la jeune fille cacha dans ses mains son visage bouleversé, comme si elle eût eu le vertige du néant. Quand elle releva la tête, un regard mouillé, mais d’une bonté et d’une grâce inexprimables, véritable arc-en-ciel, gage de paix, signe d’alliance, éclairait ses traits un instant convulsés, presque sourians déjà. Néanmoins, ce sourire fut d’abord pour Frantz la cause d’un frisson pénible qui le secoua tout entier : il y avait vu le reflet d’un autre sourire, également compatissant, et qui avait dû être l’origine de la chute sur laquelle il s’était tant lamenté... Mais, bientôt, le charme fit son œuvre, la rancœur se fondit ; et le jeune homme, s’inclinant sur les mains de Marie-Madeleine, les baisa en murmu- rant : — Merci... Ne parlez pas. Je vous ai comprise : vous cédez enfin. — Je suis peut-être ébranlée, et je céderai peut-être. Mais je parlerai pour vous redire que votre amour vous inspire un acte de folie qui serait un acte d’héroïsme, si vous pouviez, jusqu’au bout, en supporter le poids sans faiblir. Tôt ou tard, vous fléchirez. — Jamais ! Ce que je fais, d’ailleurs, n’a rien de grand. — Actuellement, peut-être. Mais, plus tard, il faudra que votre générosité grandisse pour ne pas décroître. — Ma générosité, c’est mon amour. — Je le sens bien. Et cela m’efïraie, au lieu de me rassurer. — Oui, ma générosité, c’est mon amour... tandis que votre amour, à vous, n’est que de la générosité. — Non. Mais j’ai peur, grand’peur de l’avenir... L’amour n’a peut-être pas besoin d’être aidé ; quant au pardon , c’est autre chose. — M’aimez-vous ? — Certes ! Mais... — Encore une fois, m’aimez-vous ? — Oui. — Alors, à quoi bon d’autres paroles ? X. Comme il y a des femmes qui ne savent que faire souffrir, il y en a d’autres, à peine moins nombreuses peut-être, qui ignorent tout de cet art, jusqu’aux rudimens. Marie-Madeleine était de ces der- nières. Non qu’elle fût très capable de se mettre au diapason aigu des paroxysmes de la passion, — ce qui n’est guère, d’ailleurs, le