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hallali! Zi87 — Mais, après? — Après?.. Je disparaîtrai. — Vous entrerez en religion ? — Je ne suis pas assez pieuse. — Vous vous tuerez ! — Je le suis trop. Et elle ajouta, avec son admirable et irritant sourire de résigna- tion inaltérée : — Je me retirerai tout simplement dans la banlieue de Nancy, en un endroit que je connais ei où il existe une crèche, un asile et un ouvroir, le tout fondé et entretenu par des dames faisant partie d'un tiers-ordre , religieuses irrégulières qui m'ouvriront leurs rangs... Vous voyez que mes facultés sont assurées de trouver là un emploi: j'élèverai des enfans, ou j'essaierai de former des femmes. Pour cette dernière besogne, je me sens prête : hélas ! j'ai eu l'occasion d'y réfléchir. — Fort bien, murmura Frantz d'un air sombre. Et moi? Vos scrupules sont admirables!.. Mais, laissez-moi vous le dire, vous autres femmes, vous êtes souvent vertueuses à contre-temps... Comment! pour satisfaire à je ne sais quel idéal de repentir, vous briserez la vie de l'homme qui vous aime et qui vous prendrait avec joie comme vous êtes !.. Ah ! c'est fou ! Il passa sa main sur ses yeux avec un geste de fièvre ou de co- lère. Et, s'animant : — Oui, on a eu raison de le dire : la conscience est une mala- die ! C'est un mal héréditaire que nous tenons de nos aïeux, les- quels ont probablement beaucoup peiné pour l'acquérir. Joli legs qu'ils nous ont fait! qui ne nous confère aucune immunité et ajoute seulement, on a eu raison aussi de le dire, une douleur à nos dou- leurs !.. Enfin, vous en souffrez; c'est un motif de vous plaindre, plutôt que de vous maudire. Seulement, tandis que vous trouve- rez une consolation dans vos chimères, sachez que je mourrai, moi, désespéré de votre sanctifiante abnégation. Vous vous sacri- fierez ; mais la victime, ce sera moi ! — Vous n'allez pas me menacer de vous tuer? — Oh! non. J'espère bien que l'exécution de vos desseins y suffira. — Frantz, tâchez de comprendre les sentimens qui me dictent mes paroles et m'ont inspiré mes résolutions! — Comment vous comprendrais-je ? Nous ne parlons pas la même langue. Pour vous, il y a Dieu, le ciel, les récompenses d'outre-tombe. Pour moi, il n'y a que ce que je puis saisir ici-bas... Je croyais tenir mon bonheur en ce monde ; vous me l'arrachez des mains : je n'ai plus rien !