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l’endroit le plus chaud, où il est entré le premier et d’où il sortira le dernier, lance une courte objurgation exclamative dans laquelle revient constamment le mot sim-bo (patience). A quoi les bouches convulsées répondent en chœur par un sauvage hoi ! d’acquiescement. Cette gymnastique a été imaginée en vue de faire trouver les trois minutes moins longues, et, de fait, elle atteint très bien son but.

Les eaux de Kusatsu sont réputées efficaces contre plusieurs affections, notamment contre une qui, médicalement, éclipse toutes les autres : la lèpre.

Les lépreux, qui seraient en ce moment au nombre de près de trois cents, ne peuvent loger que dans quatre ou cinq hôtels déterminés. Le personnel de ces étranges phalanstères, depuis le propriétaire jusqu’aux garçons, est composé d’individus en proie à la terrible maladie. Ce sont de véritables ladreries. La source de Goza-no-yu est réservée à ces spécialistes en étalage de calamités pathologiques, et personne ne songe à la leur disputer. Partout ailleurs, on voit un écriteau portant cette inscription, aussi inflexible que le lasciate ogni speanza : « Défense aux lépreux d’entrer ici. »

La curiosité nous étant venue de visiter un des bains de Goza-no-yu, non sans quelque précaution, car les Japonais prétendent, à tort ou à raison, que les éclaboussures d’eau peuvent être contagieuses, nous sommes surpris de voir, au lieu des damnés qu’on s’attendrait à rencontrer dans une dépendance de cette cité d’Aoste, cinq individus d’extérieur assez sain, sauf un, dont les jambes sont en bien mauvais état. Les traits, le teint paraissent appartenir à des gens adonnés à d’autres travaux que la besogne manuelle. Nous avons recueilli sur cette particularité des informations dont il convient de laisser la responsabilité aux Japonais qui ont eu la complaisance de nous les fournir. D’ailleurs, ces renseignemens, donnés par des personnes séparées, en des circonstances espacées, concordent parfaitement entre eux.

Les lépreux se divisent en deux catégories. L’une comprend les pauvres diables qui vivent de leur maladie jusqu’au jour où ils en meurent, c’est-à-dire les mendians des grands chemins. Ceux-là ne viennent pas chercher à Kusatsu une guérison qui les priverait de leur principal moyen d’existence. L’affection dont ils sont atteints est d’ailleurs indolore. La seconde classe se compose de gens d’une condition plus relevée, de marchands, par exemple, — et plusieurs sont riches, — qui taisent leur mal et réussissent souvent à le cacher jusqu’à leur mort. Ils ne se font pas trop scrupule de contracter alliance avec les femmes qui leur plaisent. Aussi, à chaque saison balnéaire, rencontre-t-on dans ce singulier Kusatsu quelques élégantes et jolies lépreuses, fréquemment caractérisées par un