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peuples à l’extérieur. Il s’était formé, de 1820 à 1830, un sentiment assez singulier où l’amour-propre national trouvait son compte et certaines dispositions mystiques un aliment. C’était une espèce de religion de la révolution française. Les hommes qui ont fait leur éducation d’esprit avant 1820 ne l’ont nullement. Ils voient la révolution française comme une période historique où il y a un grand nombre d’opinions, de tendances, d’idées et de systèmes très divers, et de ces systèmes ils en adoptent un, avec modifications et tempéramens, selon leur tour d’esprit. Mais à partir de 1825 l’habitude s’établit, dans beaucoup d’esprits, d’ailleurs distingués quelquefois, de prendre la révolution comme une pensée unique, comme quelque chose d’indivisible, et de l’aimer et vénérer d’ensemble, en bloc, sans choix, sans distinguer ni les époques, ni les systèmes divers, et même contraires. Ce phénomène intellectuel, très bizarre, est fort commun. On rencontre des gens qui trouvent le moyen d’être partisans à la fois de Voltaire et de Rousseau. Tout de même, le culte révolutionnaire embrassait d’une même ardeur Mirabeau, les girondins et les montagnards. Un peu d’ignorance ne nuisait pas à cette disposition d’esprit, un peu de mysticisme y servait beaucoup. Quand une idée, et surtout quand ce qui n’a jamais été une idée devient un sentiment, les contraires peuvent y entrer sans s’exclure et sans se gêner. La révolution était devenue une religion. Dès lors, tout ce qu’avaient fait les révolutionnaires était bien et était à recommencer. Dans cette vision confuse de l’époque révolutionnaire, ce qu’on apercevait vaguement, c’est que la France y avait été très agitée au dedans et très guerroyante à l’extérieur. C’était là un idéal que, d’instinct, et les uns avec beaucoup de tempéramens, les autres avec un emportement déclamatoire, les autres sans conviction et par simple concession à l’opinion, tous les hommes qui avaient la prétention d’être « avancés » entretenaient plus ou moins, dans leur pensée de derrière la tête, et caressaient avec plus ou moins de complaisance. Ce qu’on répétait, c’était, pour ce qui regardait les affaires intérieures : « Nous ne faisons rien. Nous n’avançons pas. Nous ne remuons pas. La France s’ennuie. » Pour ce qui regardait l’extérieur : « La France n’est plus le peuple chef. Elle ne remue plus le monde. Elle n’effraie plus les rois. Elle n’inquiète plus l’Europe. »

« Il y avait d’extrêmes dangers dans l’une et l’autre politique, très vagues, du reste, d’autant plus dangereuses, et que personne, à cette époque, n’a déterminées avec précision. L’une et l’autre étaient la préoccupation, l’effroi et l’embarras constant de Guizot, à cause même de ce qu’elles avaient d’inconsistant et de presque insaisissable. Il luttait là non contre des doctrines, mais contre un état d’esprit, ou plutôt un état d’âme, que seul le temps et nos