Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bourgeoisie, dans laquelle, à tous égards, les restes de l’ancienne aristocratie s’étaient absorbés et fondus. De ce que l’ancienne aristocratie, par le prestige des noms et des titres, par les souvenirs historiques, aussi par la valeur personnelle de quelques-uns de ses représentans, mais ceci est en dehors de la question, faisait encore grande figure, il n’en fallait pas conclure qu’elle fût encore une dusse, et, sur cette idée, chercher la classe moyenne au-dessous d’elle. La vérité était qu’on avait affaire, malgré quelques apparences, à une nation où il n’y avait d’autre différence marquée entre les hommes, considérés par groupes, que l’argent. Une classe d’hommes possédant beaucoup, une autre en train d’acquérir, une autre ne possédant rien, c’était la France, dans sa classification générale, la France par grandes catégories bien distinctes, abstraction faite des exceptions qui tiennent au mérite personnel, quand il est éclatant.

Si donc il était vrai que le gouvernement rationnel et naturel dût appartenir à la classe moyenne, si donc il était vrai que ce fût la classe moyenne qui fit l’opinion, si donc il était vrai que l’aristocratie fût trop loin du peuple pour bien comprendre le sentiment général de la nation, si donc toute la théorie de Guizot était juste, ce n’était pas dans la grande bourgeoisie qu’était l’axe politique, c’était au-dessous. D’où nous sommes, toute la politique de Guizot paraît une théorie des classes moyennes au service d’une politique aristocratique.

C’est, qu’en partie la théorie était fausse, pour être incomplète ; en partie, l’application était erronée. — En partie la théorie était fausse, parce que ce n’est pas la classe moyenne, à l’exclusion absolue de ce qui est au-dessus d’elle et de ce qui est au-dessous, qui doit gouverner, mais c’est la nation entière, chaque classe selon sa compétence, qui devrait avoir part au gouvernement, la classe moyenne gardant, si l’on veut, et j’en suis d’avis, le caractère et l’office de régulateur. — En partie l’application était erronée, parce que Guizot et son parti, moitié fausse vue historique, moitié par grande admiration pour la classe moyenne, croyaient l’être, tandis qu’ils étaient l’aristocratie de leur temps. Cela a été une erreur de grande conséquence, parce que, malgré leur intelligence politique, leur savoir, leur grande information et une habileté dans la pratique du gouvernement qui ne me semble guère avoir été égalée, Guizot et son parti ont eu, plus qu’une aristocratie, le défaut d’une aristocratie, pour cette raison précisément qu’ils ne croyaient pas en être une. Une aristocratie avérée, si on me passe le mot, sent qu’elle est une aristocratie, et, quelquefois du moins, quand elle a des traditions d’intelligence et de prudence politique, est surveillée par ce sentiment même, fait attention à l’opinion