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Français d’aujourd’hui. — Guizot dit : il n’y a pas de souveraineté, personne n’est souverain ; le souverain c’est la raison ; la raison gouverne, non de par un droit historique, mais de son droit ; elle est extraite de la masse confuse des sentimens populaires par ceux qui sont le mieux en situation de faire ce travail. — La théorie de Guizot est évidemment beaucoup plus philosophique, beaucoup plus abstraite, et je ne dis pas plus démocratique, mais, vraiment, plus républicaine que celle de Royer-Collard. Nous verrons, du reste, que, nonobstant, elle s’en rapproche par un détour.

Voilà donc l’office de la classe moyenne : tirer d’un peuple toute la somme de raison qu’il contient. Comment s’en acquittera-t-elle ? En se pénétrant des sentimens généralement répandus et en examinant ce qu’ils ont de légitime, comme tout gouvernement doit faire, mais avec cette compétence spéciale qui lui est propre, avec l’instinct démocratique d’une classe qui sort du peuple et qui reste voisine de lui, avec cette capacité des idées générales que le loisir, l’éducation, la vue plus étendue sur toutes choses, lui donnent. — D’une autre manière encore, qui complète celle-ci. La raison est légitime, la tradition l’est aussi. Elle l’est au même titre, par ce motif qu’elle est la même chose. La raison est le juste milieu intellectuel, la tradition est le juste milieu continu à travers l’histoire. La tradition est la raison persévérante, qui a duré parce qu’elle était la raison, et qui prouve qu’elle était la raison par ce fait même qu’elle a duré. Il ne lui faut pas d’autre preuve, d’autre justification, ni d’autre titre. Durer c’est montrer son droit d’être : « Du seul fait de la durée on peut conclure qu’une société n’est pas complètement absurde, insensée, inique, qu’elle n’est pas absolument dépourvue de cet élément de raison, de vérité, de justice qui seul peut faire vivre les sociétés. Si, de plus, la société se développe, si elle devient plus forte, plus puissante, si l’état social est de jour en jour accepté par un plus grand nombre d’hommes, c’est qu’il s’y introduit par l’action du temps plus de raison, plus de justice, plus de droit ; c’est que les faits se règlent peu à peu suivant la véritable légitimité. »

Il y a donc deux choses légitimes en ce monde, qui sont la raison et l’histoire. Et il y a donc deux justes milieux que la classe moyenne, juste milieu elle-même, doit bien distinguer et bien saisir, c’est le juste milieu actuel, à savoir les sentimens diffus de la nature ramenés à une idée générale unique, et le juste milieu historique, à savoir ce qui, dans la nation, a eu assez de force, c’est-à-dire de bon organisme, c’est-à-dire d’ordre et de raison pour durer ; et encore entre ces deux justes milieux le gouvernant doit en trouver un troisième, ou, pour parler plus uniment, il doit tempérer l’un par l’autre, et concilier avec justesse d’esprit la