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d’honneur, il nous faudrait des gens de religion. » Il avait compris-la raison des succès de cette tactique militaire, et du coup il en avait inventé une autre tout originale et en tout à l’opposé de celle de ses adversaires, froide autant que l’autre était vive, et ferme autant que l’autre était agile. Ce fut à Marston-Moor que cet élément militaire nouveau fit son avènement, et ce qu’il y eut de remarquable, c’est que le premier jour de sa fortune fut le dernier de celle de Newcastle. Dès qu’il se fut révélé, le chef brillant des cavaliers, qui en avait pressenti si bien le danger qu’il s’était refusé à le provoquer et qu’il fallut, pour l’y contraindre, l’impérieuse obstination du prince Rupert, comprit qu’il n’avait plus qu’à disparaître, ce qu’il fit incontinent, sans attendre une heure après la défaite, laissant à de plus aveugles le soin de conduire une cause qu’il estimait dès lors perdue.

Il fut un généreux patron des poètes et des lettrés, le tout à fait dernier de ces protecteurs magnifiques, à la mode des règnes d’Elisabeth et de Jacques Ier, qui savaient tempérer leur munificence de gracieuses familiarités et qui étaient des amis autant que des soutiens, les Philippe Sidney, les Walter Raleigh, les Pembroke et les Southampton.. Pour comprendre à quel point le noble rôle de mécène a déchu dans les âges qui vont suivre, il suffit de le comparer aux indignes patrons de la restauration, les Buckingham et les Rochester, ou aux secs, indifférons, ou vaniteux patrons de l’époque d’Anne et des princes George, un Compton, un Onslow, un Chesterfield, un Horace Walpole. Nous avons dit la protection qu’il étendit sur la vieillesse de Ben Jonson, et que le poète lui dut de sortir de ce monde autrement que par la faim. Un autre de ses-protégés fut James Shirley, le dernier dramaturge de la grande époque et l’auteur à la mode des divertissemens de la cour sous Charles Ier. Shirley avait dédié à Newcastle un de ses meilleurs drames, le Traître, dont le sujet, par parenthèse, est le même que celui du Lorenzaccio, d’Alfred de Musset, et la petite préface par laquelle il lui adressa son drame indique, à ne pas s’y tromper, que la générosité du grand seigneur avait de beaucoup précédé la dédicace. Anthony Wood, cité par M. Edmond Gosse, dans une substantielle préface dont il a fait précéder un choix récemment publié des œuvres de Shirley, nous apprend que cette générosité avait été assez loin pour que Shirley, qui était d’ailleurs ardent royaliste, crût devoir s’enrôler dans l’armée de son patron. Il fit donc sous Newcastle les premières campagnes de la guerre civile, et le suivit après Marston-Moor sur le continent[1], d’où il revint furtivement

  1. M. Edmond Gosse s’étonne de ne pas trouver mention de Shirley dans le livre de la duchesse. Une telle fidélité reconnaissante n’était pas en effet pour être omise ; mais, les relations de Shirley et de Newcastle étant antérieures à son mariage, elle ne l’a probablement pas connu. Enfin, il est remarquable qu’à l’exception de Hobbes elle ne nomme aucun des beaux esprits de leur intimité.