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Jonson, écrivait son Volpone. Et qui ne se rappelle ce lever de rideau, le plus étrange, assurément, qu’il y ait dans aucun théâtre, où l’on voit le rapace Magnifico Vénitien si singulièrement entouré de son parasite, de son nain, de son bouffon castrat et de son hermaphrodite.

Ces précoces achats de chevaux, de chiens, et de petits chanteurs disent assez quels furent, dès la première heure, les goûts dominans de Newcastle. La duchesse nous dit qu’à l’université, bien qu’il ne fût pas rebelle à l’étude, il y était cependant peu enclin, préférant les exercices qui sont propres aux gentilshommes et en rapports intimes avec la vie élégante, comme l’escrime et l’équitation, préférences que son père, dont nous venons de voir les complaisantes dispositions, encouragea de son mieux en envoyant le jeune homme, en Lorraine, chez un M. Antoine qui tenait, sur la Meuse, un manège ou école d’équitation, alors fréquenté par tous les gens de bon ton[1]. Point n’est étonnant que le duc et la duchesse aient fait ensemble si bon ménage ; quelles que fussent les différences de leurs natures, il y avait entre elles des ressemblances essentielles. Pas plus que le duc, la duchesse n’avait jamais eu aucun appétit bien vif à l’étude. Elle, qui écrivait tant, n’avait presque rien lu ; c’est elle qui en fait l’aveu, en nous révélant que, lorsqu’elle voulut parler de philosophie, elle ouvrit pour la première fois les livres qui en traitaient, pour apprendre au moins les termes dont ils se servaient. L’un et l’autre furent deux beaux esprits par la grâce seule de la nature, mais furent livresques aussi peu que possible, pour employer l’expression de Montaigne, qui le fut, lui, beaucoup plus qu’il ne veut bien le dire, puisqu’il doit au moins aux livres les exemples, en nombre infini, dont il appuyait les pensées avec lesquelles son âme rêveuse aimait à s’entretenir.

Comme l’astrologie judiciaire était au nombre des croyances et des pratiques du temps, il est possible que l’horoscope de Newcastle ait été tiré à sa naissance. Nous avons cherché avec curiosité, mais vainement, dans tous les livres à portée de notre main, si nous en trouverions trace ; c’était pour nous une manière indirecte de reconnaître si cette science est mieux que conjecturale et si ses prédictions touchent juste quelquefois, car il faut la tenir pour bien menteuse si cet horoscope ne le montrait pas né sous une conjonction d’astres propices à l’excès. La première partie de sa vie ne fut qu’une longue suite de jours heureux. Ce bonheur commença tôt. Lorsque le roi Jacques créa chevalier de l’ordre du

  1. Ce M. Antoine qui habitait sur la Meuse serait-il par hasard l’ancêtre de l’ex-député lorrain au Reichstag et candidat antiboulangiste à Paris ?