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entendons ses propos de table, ses conversations de coin du feu avec la duchesse, ses entretiens avec les lettrés de son intimité. Si l’homme public n’y est qu’en abrégé, l’homme privé en revanche y est au complet et dans le plus minutieux détail.

C’est là le principal, ce n’est pas le seul intérêt du livre de la duchesse. Il paraîtrait que, si l’homme public n’a pas dans cette histoire une place plus vaste, ç’a été encore par la volonté expresse du duc. « Quoique je me sois efforcée de rendre cette histoire aussi claire que possible, dit-elle dans une des trois ou quatre préfaces qui est adressée à son mari, il y a quelque chose qui a beaucoup contribué à l’obscurcir, et cette chose, c’est que votre grâce m’a commandé de ne rien rapporter qui pût être au préjudice ou à la disgrâce d’une famille ou d’une personne quelconque… » Et ailleurs : « Ce livre eût été beaucoup plus volumineux si sa grâce m’avait donné permission de publier les actions de ses ennemis. » Ne pouvant tout dire, elle s’est ingéniée cependant à laisser soupçonner ce qu’elle taisait ; cette histoire est semée de réticences, de sous-entendus, de silences calculés. À la distance où nous sommes de l’époque, et dans l’ignorance où nous sommes de ces mille détails que connaissent les contemporains, il est impossible d’interpréter avec justesse tous ces sous-entendus et tous ces silences, mais il est au moins deux faits qu’elle laisse transpercer et qui changent singulièrement la physionomie de l’homme public chez Newcastle. Le premier, qu’on ne peut deviner, mais sur lequel je ne vois pas qu’aucun historien depuis Clarendon jusqu’à Carlyle se soit nettement expliqué, c’est que Newcastle prit le parti du roi et se lança dans la guerre civile par simple loyauté, mais sans aucune forte conviction dans le bon droit de Charles et surtout sans aucun espoir de succès final. Le second et le plus important, c’est que vanté, loué, remercié, flatté officiellement, Newcastle fut en réalité, avant même Marston-Moor, l’objet d’une défaveur secrète, dont rien ne transpira jamais ouvertement, mais qui dura jusqu’à sa mort, et que par là s’expliquent et son découragement si soudain, et cet exil volontairement cherché avant l’heure, et son inertie pendant les longues années qui suivirent, et enfin, après la restauration, cette retraite si complète au moment où il semblait que sa place était marquée auprès de son royal élève.


I

Il y eut trois hommes dans Newcastle : le cavalier, l’homme de guerre, le bel esprit. Voyons successivement ce que la duchesse nous apprend particulièrement de chacun.

Comme sa noblesse était assez illustre pour dispenser de