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ingénieuse aussi, en avait fourni les lignes essentielles. Il ne manquait à l’imitation que celle des larmes, plus malaisées à jouer que le soupir. Aussi faut-il bien se garder d’attribuer uniquement à l’influence du milieu ce qu’il y a de subtil et de ténu dans l’analyse que fait Pascal des passions de l’amour. On y trouve tout simplement la sagacité coutumière de son esprit, appliquée aux choses de l’amour au lieu de l’être à la physique, et ce n’est pas de l’hôtel de Rambouillet qu’il tenait, par exemple, la délectable finesse de ses vues en hydrostatique. Ses observations sur les troubles ingénus de son cœur procurent à l’amoureux qui se souvient la même jouissance qu’au physicien son traité de l’équilibre des liqueurs ; c’est dans les deux cas la nature merveilleusement pénétrée, sans maîtres. Le moraliste, dans ces pages, n’a pas abdiqué le souci du savant ; il tient à prévenir toute défiance touchant la rigueur de son intime examen. « L’on écrit souvent des choses que l’on ne prouve qu’en obligeant tout le monde à faire réflexion sur soi-même et à trouver la vérité dont on parle. C’est en cela que consiste la force des preuves de ce que je dis. « Il sent toujours le besoin d’obliger par des preuves, alors même qu’il ne peut que nous inviter à nous reconnaître en lui. À vrai dire, la psychologie n’a pas d’autre fondement à ses témoignages que la vérification de ceux-ci dans la conscience de chacun, et présume ainsi la conformité de toutes les consciences, qui lui fournissent à la fois sa matière et son contrôle. Pascal, en passant, lui assigne avec précision son caractère.

Pour clore cette étude, esquissons rapidement, en ordonnant et résumant les aveux mêmes de Pascal, la genèse intime de l’amour qui les lui dicte.

On cherche quelquefois bien au-dessus de sa condition « le second » dont on a besoin pour être heureux et « l’on sent le feu s’agrandir, quoiqu’on n’ose pas le dire à celle qui le cause. » Pascal a profondément décrit ce début de l’amour qui se voile. L’ambition est vite dominée et absorbée par l’amour, « c’est un tyran qui ne souffre pas de compagnon. » Il suffit au cœur : « Une haute amitié remplit bien mieux qu’une commune et égale le cœur de l’homme,.. il n’y a que les grandes choses qui y demeurent. » — « Le premier effet de l’amour est d’inspirer un grand respect ; l’on a de la vénération pour ce qu’on aime. Il est bien juste ; on ne reconnaît rien au monde de grand comme cela. » Ce respect doit néanmoins trouver ses limites dans l’amour même. « Le respect et l’amour doivent être si bien proportionnés qu’ils se soutiennent sans que ce respect étouffe l’amour. » Dès qu’on aime, on se sent transformé. On s’imagine « que tout le monde s’en aperçoit ; » rien de plus faux ; mais c’est un effet de la passion qui borne la vue de