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d’abord : « Nous connaissons l’esprit des hommes, et par conséquent leurs passions, par la comparaison que nous faisons de nous-mêmes avec les autres. » Il s’agit précisément de savoir comment, par quelle espèce de communication, nous pouvons établir cette comparaison. Comme nous n’avons aucune vue directe dans l’âme d’autrui, il faut que nous en trouvions l’image dans la nôtre, c’est-à-dire que ses passions y retentissent sympathiquement par l’intermédiaire de la physionomie. Or, Pascal ne semble pas d’abord admettre cette aptitude de l’âme à s’aliéner, car il dit encore : « Les auteurs ne peuvent pas bien dire les mouvemens de l’amour de leurs héros ; il faudrait qu’ils fussent héros eux-mêmes. » Mais il dit plus loin : « L’on ne peut faire semblant d’aimer que l’on ne soit bien près d’être amant, ou du moins que l’on n’aime en quelque endroit ; car il faut avoir l’esprit et les pensées de l’amour pour ce semblant, et le moyen de bien parler sans cela ? » Il admet donc que simuler un sentiment (c’est ici l’amour) incline à l’éprouver et qu’on ne l’exprime fidèlement qu’autant qu’on en a l’esprit et la pensée. Or, avoir l’esprit et la pensée d’un sentiment, ce n’est pas l’éprouver ; mais ce n’est pas non plus y être entièrement étranger, car c’est se le représenter, et comment, sinon dans son propre cœur ? C’est donc en être affecté sympathiquement. Le mot n’y est pas, mais la chose est indiquée. Seulement, au lieu d’être volontaire, comme Pascal le suppose dans le passage cité ; au lieu d’être une feinte, la mimique expressive qui dérive de la sympathie est indépendante de la volonté, elle est instinctive ou plutôt réflexe. Il suffit au comédien de ressentir sympathiquement pour mimer naturellement. Ce sont deux choses qu’il ne divise pas en étudiant un rôle ; il ne cherche qu’à sympathiser ; dès qu’il y réussit, le signe expressif s’impose à sa physionomie. Les auteurs n’ont besoin que de sympathiser avec les états moraux de leurs personnages ; cela leur suffit pour bien décrire « les mouvemens de l’amour de leurs héros. » C’est assez, selon Pascal lui-même, qu’ils aient « l’esprit et la pensée » de l’amour, pour en bien parler ; il se contredit donc en leur en refusant la possibilité.

Nous avons essayé de dégager la théorie de l’amour et l’esthétique impliquées dans le Discours sur les passions de l’amour, en recherchant les rapports latens ou lointains capables de relier entre elles les idées qui y sont jetées pêle-mêle et dont la synthèse n’apparaît pas tout d’abord. Les fragmens distincts dont ce discours se compose ne contribuent pas tous à la reconstitution de ces deux doctrines. Il y en a d’indépendans qui consistent en observations irréductibles et ne sauraient être rattachés à aucun principe général. On peut toutefois grouper ceux-ci par analogie des