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le plus tendre pour les gagner ; l’on est bien aise de voir que mille autres sont méprisables et qu’il n’y a que nous d’estimables. » Quand on raffine sur les choses de l’esprit, on est raffiné en amour : « Quand un homme est délicat en quelque endroit de son esprit, il l’est en amour. » Les répugnances de son intelligence déterminent des aversions dans son cœur. En présence de quelque objet susceptible de l’émouvoir, « s’il y a quelque chose qui répugne à ses idées, il s’en aperçoit et il le fuit. » Dans l’amoureux, Pascal compare entre eux la délicatesse ainsi définie et le sens de la beauté corporelle : « Pour la beauté, chacun a sa règle souveraine et indépendante de celle des autres, » tandis qu’il y a, au contraire, un critérium commun, absolu, pour la délicatesse. La règle n’en est pas arbitraire, car elle est d’ordre intellectuel, elle « dépend d’une raison pure, noble, sublime. » Ces épithètes indiquent qu’il s’agit d’une règle esthétique autant qu’intellectuelle, la règle rationnelle du goût dans les choses de l’esprit, dans le monde immatériel. Il en résulte qu’on peut faillir de bonne foi à cette règle, « se croire délicat sans qu’on le soit effectivement, et les autres ont le droit de nous condamner. » Toutefois il semble dur à Pascal de ne tenir aucun compte de l’intention en pareille matière, car il y a déjà quelque délicatesse à se soucier d’être délicat, c’est un raffinement. « Entre être délicat et ne l’être point du tout, il faut demeurer d’accord que, quand on souhaite d’être délicat, l’on n’est pas loin de l’être absolument. « Il y a d’ailleurs des degrés dans la délicatesse, car c’est « un don de nature » capable de perfectionnement, comme toutes les qualités de l’esprit.

Ainsi l’esprit, par toutes ses aptitudes, est le condiment essentiel de l’amour. Il l’est, en outre, de la beauté qui le fait naître, il la fait valoir : « Le sujet le plus propre pour la soutenir, c’est une femme. Quand elle a de l’esprit, elle l’anime et la relève merveilleusement. Si une femme veut plaire et qu’elle possède les avantages de la beauté, ou du moins une partie, elle y réussira ; et même, si les hommes y prenaient tant soit peu garde, quoiqu’elle n’y tâchât point, elle s’en ferait aimer. Il y a une place d’attente dans leur cœur ; elle s’y logerait. »

Rien n’a donc échappé à Pascal de la stratégie et des manèges de l’amour. S’ensuit-il que sa vie mondaine ait été celle d’un galantin ? Nous sommes bien loin de le supposer. Il a été, croyons-nous, observateur tour à tour de lui-même et des autres, et il importe de distinguer, dans tout ce qu’il a observé, ce qui lui est propre de ce qui lui est étranger. Nous avons des motifs d’admettre qu’il était, en pareille matière, praticien novice, et, comme en toute chose, investigateur expert. Tout devenait sous ses yeux