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vérité s’est donnée à la patience des savans, à leur amour, à leur simplicité, à leur dévoûment, bien plus qu’à leur génie. » Enfin, selon M. Spencer, « la dévotion à la science est un culte tacite ; ce n’est pas un respect exprimé par des paroles, c’est un respect prouvé par le sacrifice de son temps, de sa pensée, de son travail. »

On ne saurait mieux dire ; mais on parle ici de l’active découverte, non de la vérité passivement transmise. Oui, le développement des sciences et le progrès des méthodes est une épopée ; et il est plus important pour l’éducation de la jeunesse de l’intéresser à cette épopée que de lui faire énumérer et inventorier des faits ou des lois. La science a une poésie intrinsèque : un Goethe, à la fois philosophe et poète, n’a pas de peine à la découvrir, mais on néglige, dans notre instruction scientifique, de faire comprendre et sentir la poésie de la science, qui se confond avec sa logique même et avec son histoire.

Outre le côté humain et logique des sciences, il importe d’en montrer le côté général et cosmologique. Pour cela, il faut systématiser les grands résultats des diverses sciences et en montrer la liaison. Ce qu’il y a de vraiment scientifique dans les sciences, c’est l’enchaînement des causes, et c’est en même temps ce qu’il y a de beau et d’intéressant, ce qu’il y a d’éducateur. L’histoire des objets dont nous voyons les causes s’enchaîner devient un fragment de l’histoire du monde et, par cela même, de notre propre histoire, puisque nous sommes une partie du grand tout, la partie intelligente, celle qui précisément comprend les causes. Notre esprit individuel n’est satisfait que par le lien des choses avec l’universel ; c’est ce qui fait sa grandeur, et ce lien, c’est d’une façon tout idéale, avec les seuls yeux de l’esprit, qu’on peut espérer le saisir. Qui serait assez indifférent pour ne pas s’intéresser au système du monde ? La vraie valeur libérale des études scientifiques est là : elles doivent nous donner une idée de l’univers et de ses grandes lois, de ce que les anciens appelaient le cosmos. Le rôle des nombres dans l’univers, celui des formes géométriques, celui du mouvement, sont choses aussi intéressantes pour l’esprit qu’est ingrate l’étude particulière d’un théorème d’arithmétique ou de géométrie. Si vous n’élargissez pas sans cesse l’horizon devant les yeux des élèves, quel intérêt prendront-ils à l’extraction d’une racine carrée ou à la tangente menée au cercle ? Il faut pythagoriser, dans le bon sens du mot, et platoniser, il faut leur découvrir dans les nombres et les figures une esthétique élémentaire ; il faut leur montrer comment les nombres régissent le monde et comment les figures dans l’espace nous révèlent le plan universel. En un mot, il faut