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ouvrir des perspectives sur le cosmos ; c’est pour cela même qu’elle devrait avoir une place dans les programmes d’une éducation libérale et principalement littéraire. Précisément, après avoir enseigné naguère la cosmographie aux élèves des lettres, on la supprime. Dans les nouveaux programmes, toutes les sciences défilent l’une après l’autre, excepté celle-là, et un élève des lettres pourrait, à la rigueur, arriver au bout de ses études sans connaître la différence d’une planète et d’une étoile, ou sans savoir ce qu’on nomme une nébuleuse[1]. Cette suppression soudaine d’une science par un trait de plume est une preuve de ce qu’il y a de problématique dans la prétendue « nécessité » des sciences pour l’éducation : hier, on ne pouvait avoir l’esprit bien fait si on ne connaissait pas l’astronomie ; aujourd’hui, c’est la chimie et la géologie qu’il faut connaître. C’est sans doute qu’on trouve la chimie et la géologie « plus utiles » pour former des « telluriens. »

Pour nous, nous préférerions qu’on formât « des citoyens du monde ; » qu’on élevât parfois les regards des enfans vers le firmament plein d’étoiles, qu’on leur nommât Sirius, Arcturus, Aldébaran ; qu’on fît voyager leur pensée à travers l’immensité sur le rayon de ces astres qui met des siècles pour venir jusqu’à nos yeux et se dévoiler aux hommes ; qu’on leur fît entrevoir dans les nuages blanchâtres des Pléiades ou de la Voie lactée une poussière de mondes et, dans d’autres nébuleuses, des mondes en formation, peut-être. Si de plus on leur racontait comment la science humaine a fini par pénétrer le secret de tous ces tourbillonnemens d’astres, si on leur parlait de Pythagore, de Platon, d’Aristote, du songe de Scipion, de Ptolémée, de Copernic, de Galilée, de Descartes, de Newton concentrant tous les mouvemens de l’univers en une formule qui tiendrait au creux de notre main ; si même, derrière les systèmes astronomiques, on leur faisait pressentir le système philosophique du monde ; si on leur disait que le ciel a toujours été l’objet de la méditation des sages ; que tous ont compris dans quel abîme d’ignorance finale notre science vient se perdre et comment le compas de la pensée, en agrandissant la sphère lumineuse de notre savoir, multiplie du même coup « nos points de contact avec la nuit ; » si on ajoutait que ces lois des nombres qui régissent le monde et rendent tous les mouvemens intelligibles n’ont point en elles-mêmes leur explication ; que, selon la plupart des sages, elles doivent l’avoir dans quelque chose d’analogue à

  1. Il est vrai que, s’il épouse plus tard une élève des lycées de jeunes filles, celle-ci lui enseignera la cosmographie, à laquelle son professeur aura consacré une heure par semaine.