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mécanisme social, les empêchent d’avoir le sentiment de l’unité totale et celui de leur unité avec leurs semblables : et c’est ce sentiment qui constitue « l’esprit public. » Des lors, leur travail devient « un simple tribut à la nécessité matérielle, » au lieu d’être « l’heureux accomplissement d’un office social. »

Notre système d’éducation n’est pas plus d’accord avec la conception positiviste qu’avec l’idéaliste. Auguste Comte dit : « La condition première et essentielle de l’éducation positive, intellectuelle aussi bien que morale, doit consister dans sa rigoureuse universalité. « Il veut expressément « une instruction capable d’une extension variée dans un système constamment identique et égal. » Or ce qu’il y a d’universel dans les sciences, selon lui, c’est leur esprit, leur méthode et leurs grands résultats : telle est donc la base positive de l’éducation scientifique. Aussi Auguste Comte voyait dans le spécialisme des études un des maux les plus grands et les plus croissans qui retardent notre régénération morale et intellectuelle. Selon lui, « toutes les forces de la société doivent être employées à combattre une telle direction d’esprit. » Et il n’y a qu’un remède : c’est une éducation large, générale, vraiment unifiée, qui puisse servir de base commune aux spécialités ultérieures. Ce mal existe en Allemagne même : l’illustre recteur de l’académie de Berlin, M. Dubois-Reymond, s’élève contre l’industrialisme donné pour but à l’enseignement scientifique : « Les sciences séparées de l’esprit philosophique, dit-il, sont un rétrécissement de l’esprit et détruisent le sens de l’idéal. » Si les sciences aboutissent d’un côté aux progrès de l’industrie, elles doivent tendre de l’autre au progrès du monde moral. Qu’est-ce d’ailleurs que la science positive en dehors de la moralité, sinon une forme supérieure de la force, plus dangereuse peut-être que la force brutale, parce qu’elle est plus puissante ; mais, comme on l’a dit, à peine plus digne de respect ?

Dans l’enseignement primaire, l’instruction scientifique, de plus en plus répandue, n’a nullement haussé le niveau moral ; ce niveau, au contraire, a baissé. Nous ne dirons pas que la faute en soit à l’étude des sciences, mais il est certain que cette étude, quand elle est séparée de l’éducation morale, développe chez l’enfant une certaine présomption vaniteuse qui tend à en faire plus tard un déclassé. En outre, elle lui fournit des armes à deux tranchans. On sait que la statistique judiciaire constatait, au commencement de ce siècle, 61 ignorans contre 39 individus ayant reçu quelque instruction, sur 100 personnes. Devant une telle proportion, on a cru l’ignorance la cause principale de la criminalité et on s’est efforcé de répandre l’instruction primaire. « Aujourd’hui